Après tout, nous sommes dans un pays civilisé et que pouvais-je craindre ? Pas grand chose en dehors d’une perte de temps et d’argent pour la sécu. Je me trompais lourdement, j’étais a mille lieues d’imaginer la suite des opérations et tous les monstres que je venais de croiser au cours des dernières heures n’étaient que peu de chose en comparaison de ce qui allait suivre. Rétrospectivement j’en frissonne encore et souvent le simple fait d’évoquer le nom de cet établissement, qui n’a d’hospitalier que le nom, me donne la chair de poule. Peur irrationnelle, allez-vous penser. Peur bien réelle dans mon cas car en quelques minutes j’allais passer du 21e siècle à la cour des miracles et le tout sans anesthésie aucune. Le poids des mots le choc des photos. C’était le slogan d’un grand magazine "people" il y a quelques années, Paris Match. St Antoine, eux c’était le poids des mots, le choc des maux, Paris Catch. Jamais je n’aurais pu imaginer un tel concentré d’inhumanité. Pourtant aux JT on nous montre régulièrement des images insoutenables, mais cela se passe loin de nous, dans d’autres lieux, d’autres temps. De temps en temps, on s’insurge, parfois on donne même un peu d’argent et certains, plus concernés, vont jusqu’à manifester. Mais finalement, c’est presque irréel, ça se passe ailleurs et notre petit confort douillet n’est que peu affecté par tout ça.
Vous avez son dossier ?
Oui, tout est là.
Bon alors on y va.
Le primate de service empoigna alors fermement le brancard et me fit sortir des urgences. Dehors la chaleur était lourde, étouffante. Une chape de plomb en fusion chargée de pollution s’abattit brutalement sur moi. Je fus en sueur en moins de temps qu’il n’en faut à un suédois dans un sauna surchauffé.
Hou la vache ! M’exclamai-je.
Fait chaud, hein ? En plus l’ambulance n’est pas climatisée, mais on en a pour 5 minutes à peine. Ça devrait aller.
J’ai vomi tout à l’heure, et maintenant ça recommence hoquetai-je, histoire de le faire un peu flipper pour sa belle ambulance non climatisée...
Ma menace eut l’air de produire son petit effet sur lui. Le brancard stoppa net et dans un souffle il me jeta -----)
Ne bougez pas. Je vais vous chercher un sac.
Et voilà, ça recommence, ne bougez pas... Est ce qu’un jour, ils se sont retrouvés allongés sur un brancard ? C’est à se le demander. Comment veut-il que je bouge, cet espèce de dégénéré ? Il croit peut être que j’ai une paire de rames télescopiques dans ma sacoche et que je vais me transformer en gondolier vénitien et me mettre à pousser la chansonnette pour ses beaux yeux ? Je commence à en avoir sérieusement marre de leurs conneries.
L’oeil levé au ciel, je regarde le gris de la ville. Pas un seul nuage en cette journée de Juin, juste le soleil qui chauffe les toits en zinc et cette chaleur oppressante qui écrase tout. Monseigneur primate 1er revient et me colle dans les mains un "vomi bag" au cas ou. Il semble pressé d’en finir avec moi. Avec dextérité, je dois l’avouer, il ouvre la porte arrière de son four ambulant, ajuste le brancard sur les rails pour le transformer en civière et le faire glisser à l’intérieur de l’étuve. C’est presque insupportable cette chaleur, chaque inspiration est comme un torrent de lave qui inonde mes poumons. J’étais en sueur 2 minutes plus tôt, me voilà totalement sec en un instant. Je me fais l’effet d’un cookie sur une feuille d’alu. Le pizzaïolo en chef, ouvre les ouies latérales du séchoir à viande et file en vitesse à l’avant et démarre sans plus attendre toutes vitres baissées. Soi disant pour faire un peu d’air. Et au lieu de respirer de la lave, j’aspire de grandes goulées de gaz d’échappements dont le seul mérite est d’être un peu moins chaud que l’air ambiant. Imaginez vous un peu, la main plongée dans un bain d’huile de friture bouillante et ensuite sous un robinet d’eau à 65 degré. L’eau vous paraîtrait presque fraîche en rapport de la brûlure. Et bien là c’était exactement ça, je ne me sentais pas mieux, mais à peine moins pire. L’ambulance vire à droite en quittant les 15/20, 200 mètres plus loin, un coup de sirène et hop à gauche dans l’avenue Ledru Rollin, un virage à droite devant le Mc do, odeur de friture reconnaissable entre mille, on est déjà dans la rue du faubourg st antoine. Quasiment momifié, desséché sur place, mon envie de rendre est passée d’un seul coup. Tout ce que j’avais de liquide en moi s’étant évaporé d’un seul coup. Il ne restait plus qu’à m’envelopper de bandelettes pour que je sois prêt à rejoindre les momies égyptiennes pour les 5 mille années à venir. Dernier coup de sirène, on vire à droite et le monument aux morts stoppe en douceur. Les portes s’ouvrent, on me décharge sans attendre et le préposé à l’urne me dit avec un air de reproche dans la voix -----)
Ben alors, on n’a pas rendu ?
Sans me demander mon avis, il me prend des mains le sac à sécrétions abdominales, aussi appelé sac à déjections abominables et qui n’a pas grand-chose à voir avec le célèbre Saka-kaka Nippon, pour le jeter avec rage en le froissant dans une poubelle dont l’apparition tenait du miracle de la grotte de Lourdes...
St Antoine et ses urgences, hôpital d’un autre siècle. J’y étais enfin, et peut-être allait-on me prendre réellement au sérieux et se pencher sur mon cas. C’était ce que je croyais en y pénétrant, j’allais vite déchanter.
Question prise en charge, on sentait tout de suite qu’on avait affaire à des « pros » qui ne perdaient pas de temps en bavardages futiles et inutiles. On m’arracha presque des mains (notez que dans les autres mains, j’avais le vomi-bag) mon dossier médical personnel qui m’avait été remis au moment de mon départ des 15/20. Pas un mot, pas un geste superflu je fus dirigé illico presto dans la salle d’attente des urgences et mon brancard fut prestement rangé au côté d’autres brancards sur lesquels étaient allongés d’autres patients. Le terme patient allait prendre alors tout son sens. Il était environ 18 heures lorsque je fut (Ola que Tal ? parce que le fut tal...) admis aux urgences de ce grand établissement hospitalier Parisien. Je voudrais souligner à quel point les termes patients et urgences sont en contradiction totale, admis à 18h aux urgences, je voyais mon premier pseudo médecin sur les coups de 3h du matin, c’est vous dire à quel point je dus me montrer patient... Pseudo médecin, qui d’ailleurs m’avoua :
Je suis désolée mais je ne sais pas ce que vous avez, il faudra voir un spécialiste.
Un spécialiste de quoi ? Puisqu’elle s’avouait incompétente pour établir un diagnostic. Allait-elle m’envoyer chez un taxidermiste ?
Un gynécologue ?
Un existentialiste ?
Un spécialistologue ?
Mais je prends quelques libertés avec le déroulement de cette fin de journée et des autres qui suivirent. Revenons donc, à cette admission et aux évènements divers et variés qui émaillèrent cette soirée si particulière.