Après avoir consulté mon dossier, le voiturier de service donc, m’attribua une place de parking longue durée avec les autres patients. Tous plus impatients les uns que les autres d’être traités en urgence. Il va de soi, que pour chacun d’entre eux, leur urgence était plus urgente que celle du voisin. Et pour le démontrer, grand nombre d’entre eux, geignaient, pleuraient, criaient, se lamentaient sans que cela semble impressionner le moins du monde le personnel en blouse blanche. Personnel qui par ailleurs était occupé à des tâches urgentes, plus urgentes que les patients puisque le nombre de ceux-ci croissait d’une manière exponentielle. Bientôt arriva le moment ou le principal travail du personnel hospitalier était de classer, trier, ranger, déplacer, replacer, bouger les brancards encombrants la salle des urgences. Nous étions dans une sorte de puzzle géant. Un peu comme ces jeux, dont le but est de reconstituer un visage, un paysage, un objet en déplaçant des cases. Une seule à la fois dans l’emplacement vide adjacent. Mais ici le but du jeu était différent. On arrivait par l’entrée des urgences et il fallait arriver à progresser vers un couloir au fond dans lequel se trouvaient des salles d’examen. Quand une urgence, plus urgente que les autres arrivait, c’était donc la grande valse des brancards. Une case à droite, une en haut, une à gauche, une en bas et hop me revoilà à la case départ. Idem pour mes proches voisins et malgré cela certains progressaient vers la délivrance et le droit à être ausculté par un médecin diplômé. Durant ce grand chambardement, nous étions régulièrement sollicités.(-----)
Vous connaissez votre numéro de sécu ?
Vous avez votre carte vitale
C’est quoi votre nom ?
Avec un H ?
Vous avez une mutuelle ?
Vous êtes né quand ?
Vous habitez où ?
Où ça ?
Que faites vous ici, alors ?
Vous connaissez le numéro de votre centre ?
Votre mutuelle, c’est quoi déjà ?
On vous a dit pour quoi vous êtes là ?
C’est qui votre médecin traitant ?
Z’avez son téléphone ?
Son adresse ?
Votre carte vitale passe pas, faudra la faire vérifier.
Redonnez-moi votre numéro de sécu.
Vous êtes sur que c’est le bon ?
Et votre nom, c’est comment ?
Avec un H, c’est ça ?
Et un G ? à la fin ?
Votre prénom ?
Vous êtes né en France ?
C’est quoi votre date de naissance ?
Et votre age ?
Vous êtes gémeau ?
Vous êtes déjà venu ici ?
Vous avez un dossier ?
On vous l’a pris ?
Qui ça ?
On va en refaire un.
Vous vous appelez comment ?
Avec un H et un G ?
Prénom ?
Votre adresse ?
Y a un H à Antony ?
J’aurais cru
Une personne à prévenir ?
C’est votre femme ?
Elle a un téléphone ?
Vous êtes arrivé comment ?
En ambulance ?
Pourquoi ?
Et pourquoi ils vous ont mis aux urgences ?
Comme vous pouvez le constater, j’étais vraiment pris en charge sérieusement. Avec toutes ces questions, on allait rapidement pouvoir établir un diagnostic pour ensuite me donner le traitement ad hoc, à base d’huile de foie de morue comme chacun le sait. Nonobstant le jeu du pousse brancard et questions pour un champion, je remarquais que quelque soit le mode de locomotion emprunté pour venir aux urgences et quelle que soit votre pathologie, il y avait une constante. On se retrouvait presque tous immédiatement allongés, ou assis, sur un brancard. On peut dire que de ce côté là, ils sont rodés à st antoine. Ils sont les champions du brancard. Peut être même qu’il y a des championnats, des épreuves inter établissements, dieu sait quoi encore. Et l’entraînement tombait juste ce jour là, j’avais une chance inouïe, on peut le dire. Toutefois dans ce ballet bien huilé, cette mécanique des fluides organisée, il se glissait quelques grains de sables. Des irréductibles refusant de se plier aux règles du jeu tentaient de doubler tout le monde. Je dois avouer que les stratagèmes employés pour cela étaient pour le moins surprenants. Je vous en livre quelques uns pèle mêle et à l’avance je m’excuse pour certains propos qui vont être tenus dans les lignes qui suivent, je n’en suis que le messager.(-----)
Salope, j’ai maaaaaaaaaallllllllllll
Putain qu’est-ce que j’ai maaaaaaaaaaallllll
Bande d’enc......lés, j’vais tous vous niquer.
’Foirés, ‘culé de ta race.
Tapette, tu vois pas que je saigne ?
L’efficacité de cette méthode n’est pas garantie à 100%, le personnel étant apparemment très au fait de celle-ci, mais parfois cela permet de progresser un peu plus vite et cette progression suffit en général à faire stopper les jérémiades.
Autre technique couramment utilisée pour doubler tout le monde, se faire escorter par la police et/ou les pompiers. Mais la police est vraiment le moyen le plus efficace, si on ne craint pas d’être quelque peu malmené. Si en plus vous avez les mains liées dans le dos et que vous hurlez tout ce que vous pouvez.
Salauds de pourriture de flics de merde.
J’vais vous éclater la tronche.
Détache-moi ‘spèce d’en...lé. (désolé)
Là en général, on vous emmène directement dans un petit bureau pour une consultation en privée et tout rentre dans l’ordre.
Un truc qui, lui aussi, fonctionne assez bien. Se déguiser en SDF, clochard, ou tout autre modèle d’exclu de la société. Se pointer en bégayant, braillant, titubant, insultant, vitupérant, éructant et surtout avec des vêtements dont l’odeur vous précède de loin afin que la prise en charge immédiate de votre personne s’organise en un temps record. D’ailleurs il n’y a pas que le personnel hospitalier qui vous prenne en charge, mais c’est l’ensemble de la salle des brancards qui vous fait une haie d’honneur pour vous ouvrir la voie et vous libérer le passage.
Voici donc énumérées quelques une des techniques utilisées pour se frayer rapidement un chemin vers le « Spécialiste » de la chose. Maintenant étudions les techniques qui, elles, sont absolument sans effet sur la rapidité de la prise en charge et même certaines peuvent carrément vous reléguer au fin fond de la salle, le brancard coincé dans un angle sombre ou l’on finit par vous oublier. Seul un coup de chance ou la femme de ménage passant par là peut éventuellement vous sauver, car il ne sert plus à rien de vouloir adopter une autre technique. Vous avez été catalogué, identifié à l’entrée, ensuite quoique vous fassiez rien ne changera.(-----)
Première méthode pour passer inaperçu et repartir comme on est venu. Je sais que certains vont hurler et me dire que ce n’est pas vrai, que j’affabule, mais pourtant c’est ainsi. Donc, rien ne sert d’être une femme et de venir avec un enfant de préférence de moins de 10 ans. Vous pouvez pleurnicher, geindre, faire hurler le marmot, le faire renifler, la seule chose que vous obtiendrez c’est :
FAITES LE DONC TAIRE ! il y a des gens malades ici.
Puis si vraiment et uniquement si vous avez quelque chose de grave, vous pourrez éventuellement obtenir un brancard pour 2 et vous glisser dans la ronde, mais à la condition expresse que :
IL PEUT PAS LA FERMER CE BON DIEU DE GOSSE ?
Seconde méthode sans effet, qui peut au mieux vous assurer qu’une personne vous cédera sa place à la prochaine valse des brancards, c’est faire partie du troisième age. C’est presque la pire des méthodes avec celle que j’avais moi-même adopté et qui me valut de passer 7 heures dans un coin avant que l’on s’aperçoive que j’étais là. Avoir la peau parcheminée par les années, la démarche hésitante, la voix chevrotante, les cheveux gris, le dos voûté, se retrouver seul et sans famille pour vous aider, habiter au 18e étage sans ascenseur à 80 ans passés, se nourrir de pâté pour chien une fois par semaine comme seule viande. Tout cela ne vous donne strictement aucun avantage et cela peut même dans certains cas se montrer pénalisant et si vous insistez un peu trop sur votre age, votre douleur de vivre, vous prenez le risque de vous retrouver à côté de moi au fond de la salle à droite. Juste là où le néon est en panne, derrière un poteau.
Et enfin il y a la méthode que, sans le savoir, j’ai utilisée...