Faisons un petit retour en arrière afin de bien comprendre comment et pourquoi en arrivant vers 18 heures aux urgences de ce vénérable hôpital qu’est St Antoine, j’ai vu mon premier médecin seulement vers 3 heures du matin. Oui vous comptez bien, cela fait 9 heures, 9 longues heures d’attente relégué dans un coin de la salle des urgences, sans boire, ni manger évidemment. Au début tout semblait aller comme il se doit.
Accueil du patient, prise de renseignements classiques. J’ai un peu exagéré plus haut, mais il est vrai que l’on s’est plus pré occupé de savoir si j’avais ma carte vitale sur moi que de savoir si mon urgence était vitale. Une personne que je ne qualifierais pas de médecin est tout juste venue jeter un oeil sur le dossier qui m’avait été remis aux 15/20 et elle m’a simplement posée une seule et unique question :
Comment vous sentez-vous ?
Je commençais à répondre que déjà elle passait à une autre personne sans plus s’occuper de moi et encore moins de ma réponse. Comme il m’était très difficile de garder un seul oeil fermé (essayez et dites moi combien de temps vous tenez) et que les garder ouverts était mission impossible car je voyais immédiatement double ou triple, je conservais la plupart du temps les yeux clos et j’étais dans un demi éveil. Avec le raffut ambiant, les cris et les vociférations aussi divers que variés, dormir était impossible. J’ai vraiment édulcoré la plupart des propos tenus par tous ceux qui se présentaient aux urgences. Peut-être n’était-ce pas la bonne heure, le bon jour, je ne sais pas. Ce que je retiens de cette première soirée aux urgences c’est le climat de violence qui y régnait. La tension était palpable et il y avait quasi en permanence une équipe de police sur place. On aurait pu croire que St Antoine était une infirmerie pénitentiaire tellement était important le nombre de ceux qui venaient entre 2 représentants de la loi menottés ou bien les poignets attachés dans le dos avec un lien en plastique tels que ceux qui sont utilisés pour attacher des câbles ensemble. Et la violence permanente, l’agressivité exprimée verbalement ou avec les poings. Des bagarres vite réprimées, présence policière oblige, éclataient régulièrement. Que ce soit une tentative de fuite d’un délinquant ou d’un toxico en manque, échauffourée entre 2 sans abris quand ce n’était pas entre des patients eux-mêmes parce que untel essayait de passer devant tout le monde. Le personnel hospitalier n’était pas en reste non plus. Il y avait dans l’équipe quelques gros bras qui ne rechignaient pas à intervenir d’une manière plus que musclée.
Et les autres dans tout ça ?
Les autres, avec leurs petits bobos de tous les jours, leurs plaies et bosses, les chutes, les accidents en tous genre ; les autres devaient s’armer de patience, supporter plus ou moins en silence leurs douleurs, leurs cris. Alors vous imaginez bien que dans mon cas, l’urgence n’était pas médicale. Je n’avais mal nulle part, je ne me plaignais pas, pas de fracture ni de blessure sanguinolente. J’étais paisiblement allongé, les yeux clos (je n’avais pas vraiment le choix, ceci dit), imitant à merveille le dormeur. Je n’insultais pas les justiciers en costume de Batman, je ne déversais pas mon fiel et ma hargne sur le personnel soignant. En réalité, j’étais stupéfait devant tant de violence, je n’étais pas préparé à ce concentré de misère humaine. C’était presque irréel, une grossière caricature. St Antoine c’est le Charlie hebdo des urgences avec tout ce que cela comporte d’exagération et de mauvaise foi. Après les monstres bicéphales et multi membres des 15-20 ma raison chancelait. Tout cela était le fruit de mon imagination et désormais mon trouble de la vue se doublait d’hallucinations. Je venais d’intégrer en grandes pompes le jobard team.
Il ne manquait plus que la banderole à l’entrée : « Bienvenue au pays des zinzins » pourrait-on lire dessus, enfin pour ceux qui sont en mesure de lire. Sinon, pour le reste tout est vrai, notamment concernant le numéro de sécurité sociale, qu’on a bien du me demander une bonne centaine de fois si ce n’est plus. Si ça se trouve ça faisait partie de la thérapie et je ne le savais pas.
Au final, je me suis retrouvé coincé dans un angle « mort » de la salle des urgences et mon brancard restait désespérément immobile alors que les autres passaient de cases en cases. Je somnolais doucement, détaché de cet environnement pour le moins étrange, soulevant à peine une paupière lorsque j’entendais de nouveaux hurlements, lorsque.
Si j’avais su.
??
C’est à cause de mon chien
Gni ?
Halalalala, mais comment vais-je ?
Oui ? commençai-je alors à dire en tournant la tête vers la gauche.
Je découvrais alors, du coin de l’œil droit, un nouveau compagnon d’infortune qui en l’occurrence s’avérait être une respectable dame dotée d’un grand âge. Voyant, un comble pour un borgne tel que moi, que personne ne semblait vouloir s’occuper d’elle je lui demandais si elle avait besoin de quelque chose.
C’est à cause de mon chien, répondit-elle, comme il faisait beau aujourd’hui il avait envie de sortir. Vous savez, j’habite au 19e et l’ascenseur est en panne depuis une semaine. Alors on n’a pas pu sortir Loulou et moi.
Donc mon odorat fonctionnait normalement, cette odeur d’ammoniaque ne devait rien aux désinfectant inutilisés par ici. Une semaine, sans sortir avec le chien à la maison... Pauvre Loulou. Par politesse, je lui demandais ce qui lui était arrivé.
Dans le parc, j’ai buté.
??
A mon âge, je vais doucement, mais Loulou était énervé.
Oui ?
Il tirait sur sa laisse, pensez donc, depuis une semaine le pauvre. Alors j’ai pas vu par terre, une racine et je suis tombée.
Vous vous êtes cassée quelque chose ?
J’ai mal, si vous saviez. Et puis Loulou est tout seul maintenant. C’est ma fille qui va être en colère quand elle va apprendre.
Vous ne l’avez pas appelée ?
Oh, non ! elle va se s’énerver et se mettre en colère si je la dérange à son travail.
Si vous voulez, je l’appelle, je lui expliquerais.
Elle m’avait dit d’attendre que l’ascenseur remarche pour sortir, à mon âge 19 étages, c’est pas facile vous savez.
Vous n’êtes pas du tout sortie depuis une semaine ? Vraiment ? Et votre fille n’est pas venue vous voir ?
Elle va me disputer quand elle va apprendre.
...
Mes clés ? Où sont mes clés ?
Dans votre sac peut-être ?
Oui, elles sont là. Heureusement que je ne les ai pas perdues. Loulou, Loulou, qui va s’occuper de Loulou ?
Votre fille le fera ce soir.
Mais c’est qu’elle n’habite pas ici. Elle va être en colère quand elle va apprendre.
Où est-elle ?
Elle est à Brest, complètement à l’ouest. Elle va pas être contente quand elle va apprendre.
Et vous n’avez personne d’autre pour vous aider ?
Non, ma fille ne veut pas. Elle n’a pas confiance.
Je commençais petit à comprendre la vie de cette pauvre vieille. Seule dans son appartement depuis une semaine sans sortir, avec son chien qui avait du faire ses besoins un peu partout. Une fille habitant loin de là, mais tenant dans une main de fer la vie de sa mère à distance, histoire de se donner bonne conscience. Le constat était affligeant, pauvre vieille qui n’osait pas prévenir sa fille de peur de se faire « disputer » ; un comble. Et elle se retrouvait, dans un hôpital complètement inhumain, désorganisé, un endroit où sa personne comptait encore moins que lorsqu’elle était seule avec son chien. Je lui proposais de nouveau mes services pour appeler sa fille et la prévenir, en vain, elle venait de s’endormir en geignant doucement.