Petit à petit, en avançant dans la soirée, les choses se calmaient en apparence. Il y avait moins de cris, la salle des urgences se vidait. C’était presque imperceptible, on venait pour la nième fois de me demander mon numéro de sécu, la maîtresse de Loulou avait été évacuée elle aussi. Elle n’avait qu’une petite luxation, elle en serait quitte pour un bel hématome et une nouvelle immobilisation forcée, sauf que cette fois-ci, elle aurait une aide à domicile. Sa fille s’inquiétant de ne pas avoir de nouvelles de sa mère dans la soirée avait appelé le commissariat. Une schtroumpfette était venue à l’hôpital, prendre des nouvelles et demander les clés pour que quelqu’un aille promener Loulou. La fille avait été sermonnée aussi pour ce que j’avais saisi de leur échange et les services sociaux allaient s’en occuper.
21 heures, j’ai de nouveau appelé chez moi pour donner des nouvelles. J’économise ma batterie au maximum, je préviens juste que je vais sûrement passer la nuit sur place et que tout va aussi bien que possible. D’ailleurs j’ai faim, signe que ça s’arrange, une nuit de repos et demain tout sera rentré dans l’ordre. Je pourrais quitter cet enfer.
23 heures, serait-ce à mon tour ? Oui, c’est bien pour moi. Enfin ! Je suis pris en charge, un médecin va s’occuper de mon cas, poser son diagnostic, me prescrire des examens complémentaires (il faut bien justifier les 5 heures d’attente), ensuite une bonne nuit de repos et hop dehors. La liberté. Grossière erreur de ma part, en réalité pas de médecin, on vient juste me chercher pour me transférer en salle d’observation. C’est une règle, passée une certaine heure aux urgences on vous envoie en salle d’observation pour la nuit quoiqu’il arrive. La salle des urgences est réservée aux urgences me répète t’on, les patients normaux vont en observation pour la nuit. J’ai un peu de mal à saisir la nuance dans mon cas et je demande innocemment sur quoi il se base pour déterminer que je suis un patient normal.
On sait ce qu’on fait, c’est la règle.
Sa réponse claque sans appel et je n’obtiens rien de plus qu’un silence hautain et professionnel. Sur ce, il empoigne vigoureusement mon brancard pour me convoyer dans la fameuse salle d’observation. Et là, même avec un seul oeil valide, mon sens de l’observation, qui lui n’est pas en défaut, me permet de constater que je me retrouve exactement de l’autre côté du mur... En gros j’ai bougé de 20 cm, juste l’épaisseur de la cloison et me voilà transformé de cas urgent en patient en observation. C’est miraculeux ce qu’on arrive tout de même à faire de nos jours avec la médecine moderne. J’en suis tout ébaubi (sur le cul, pour ceux qui ont la flemme de prendre un petit Robert). J’en reste comme deux ronds de flans aurait dit ma mère dans un cas pareil.----- Toutefois je dois admettre qu’il y a une énorme différence entre la salle d’observation et les urgences. Plusieurs différences devrais-je dire, et de taille. Pour commencer les dimensions de la salle, on passait de l’échoppe d’un épicier de quartier à un supermarché de centre commercial. Enfin, presque... Il y avait 6 lits d’un côté et 6 de l’autre en face. Avec un grand rideau aux 2/3 de la pièce qui faisait office de séparation entre les hommes et les femmes. Il fallait bien préserver l’intimité de chacun. Mais comme ce rideau était plus ou moins constamment ouvert, on ne pouvait pas vraiment dire que c’était très intime, et je ne vous parle pas des bruits corporels et autres émanations gazeuses émises par certain(e)s. Donc rappelez vous bien, un rideau pour séparer la pièce, 2/3, 1/3 avec de part et d’autre 6 lits grand confort. C’est à dire équipés en tête de lit d’au moins une prise électrique, un plafonnier (en panne), de prises pour l’oxygène, un support à perfusion etc. Le grand luxe donc. Mais pourquoi 2/3, 1/3 et pas 50/50 ? Me demanderez-vous ? Et bien pour la simple raison que la parité homme femme étant loin d’être respectée il y avait un côté pour les représentants du sexe masculin (les présents, levez la main ou autre chose) et l’autre côté (the other side) pour les femmes (ne dites rien). Et que se passait-il quand il y avait plus d’un sexe que de l’autre ? On commençait par resserrer les rangs et on tassait au maximum jusqu’à ce qu’il soit presque impossible de bouger. Alors on ouvrait en grand et on transférait les patients les plus nombreux en genre du côté où il y avait le plus de place. Pendant la courte durée de mon séjour j’ai pu assister à ce grand chambardement plusieurs fois. C’est peut-être en ces occasions que le personnel hospitalier nous observait car sinon le reste du temps on ne se pré occupait guère de nous... Il fallait s’occuper des urgences... Je plaisante à peine, pour mon cas personnel après m’avoir collé en observation et mis sous perfusion (au cas ou), j’ai été livré à moi-même, observant par la même occasion que lorsque ma perfusion était vide il ne fallait surtout pas espérer qu’on vienne vous la changer. Il fallait réclamer et sans avoir recours à la sonnette d’appel, en panne comme par hasard. Avec le niveau sonore ambiant, il y avait de quoi se faire péter les cordes vocales et je ne suis pas persuadé qu’un beuglement de plus aurait eut la moindre efficacité. Le plus simple était de tenter d’agripper au passage une blouse blanche pour lui faire remarquer l’état de manque dans lequel on pouvait se trouver. Alors il arrivait parfois, avec un peu de chance, qu’on vous changeât la précieuse poche en moins de 2 heures. Et là je ne vous parle que de la perfusion. ----- Imaginez ce que cela peut donner avec le bassin, enfin pour ceux à qui on a donné un bassin, car pour les autres, ils n’ont guère le choix. Soit ils sont suffisamment mobiles pour se rendre seuls aux commodités, soit ils ne le sont pas et tant pis pour eux et leurs proches voisins. Heureusement pour moi, n’ayant rien bu ni mangé depuis de longues heures, ces fonctions là étaient en sommeil pour mon plus grand confort, je suis bien obligé de l’avouer car je faisais partie de ceux qui n’avaient pas de bassin et qui en plus n’étaient pas mobiles. Bref changeons de sujet et continuons notre petite histoire.
Je me retrouvais donc exactement de l’autre côté du mur avec la chance inouïe d’être immédiatement perfusé et surtout je disposais à portée de main d’une prise électrique en état sur laquelle je m’empressais illico de brancher mon Blackberry®, petite merveille de technologie qui continuait de recevoir sans failles tous mes mails dont je ne pouvais guère prendre connaissance et encore moins y répondre. Ça peut paraître bizarre, mais le téléphone me permettait de conserver en quelque sorte le contact avec la réalité. A chaque fois que je recevais un mail, mon Blackberry® vibrait et le témoin clignotant passait du vert au rouge. Je trouvais rassurant ce lien avec le monde extérieur, preuve qu’il existait encore d’ailleurs et bien que je sois incapable de lire, à chaque nouveau message je sortais mon Blackberry® de ma poche pour regarder l’écran.
(Note de l’auteur : penser à demander à RIM, fabricant du Blackberry® de financer l’édition de cette nouvelle en contrepartie de la publicité que je lui fais présentement).
La nuit finit par reprendre ses droits et un semblant de calme commençait à se poindre le bout de son nez. Mis à part un ou deux péripéties que je vais vous narrer pour vous éviter de tomber dans un sommeil profond. Il y eu d’abord ce jeune homme arrivé en pleine crise de manque, supposai-je, escorté par la maréchaussée citadine. Rapidement pris en charge, on dut lui injecter je ne sais quel produit de substitution pour le calmer et il fut tout aussi prestement allongé sur un lit voisin avec au moins 2 perfusions pour ce que j’avais pu en voir. Au bout de quelques temps, se sentant sans doute en meilleure forme il décida, de son propre chef, de quitter en Cathie mini (subrepticement) St Antoine. Je ne pouvais que l’approuver et pour ma part j’en aurais fait autant si j’avais pu. Le seul petit problème c’est qu’il avait oublié qu’il était encore raccordé via ses cordons ombilicaux au système automatique de distribution de « fumette ». ----- Il arracha donc le tout sans aucune précaution et son sang ne fit qu’un tour pour éclabousser copieusement une blouse blanche qui passait par là. Ladite blouse blanche se mit à hurler qu’on l’égorgeait en poussant des cris d’orfraie afin de rameuter la populace de ses comparses. Il s’ensuivit une bagarre plus ou moins confuse dont le gagnant fut, and the winner is : Toxico 1er qui réussit à s’échapper en filant un coup de pied à perfusion sur le crâne d’un infirmier qui tentait de s’interposer. L’échauffourée dura à peine une trentaine de seconde et il fallut une bonne demie heure avant qu’un calme relatif revienne du côté des blouses blanches. Le second incident que je vais vous conter est relatif, celui-ci, à problème de bassin et une incontinence volontaire.
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Episode 15
Comme audité.