Cet incident s’est produit plus tard dans la nuit, presque au petit matin, après ma rencontre avec l’interne de service et pour une fois je vais déroger à la règle de la chronologie pour vous raconter un autre épisode de cette première nuit à St Antoine. La personne en cause cette fois-ci est ce que je vais appeler pudiquement un sans abri arrivé aux urgences bien avant moi et dans un état d’ébriété fort avancé. Il avait était pris à partie par d’autres sdf pour une obscure raison et s’était fait tabassé copieusement. Il se trouvait donc déjà en salle d’observation et l’essentiel du traitement qu’on lui avait appliqué, tenait plus de la grande lessive que de vrais soins médicaux. Il avait été soigneusement décrotté, lavé, récuré de fond en comble. Toutes les parties visibles de son corps étaient badigeonnées d’antiseptique couleur carotte, genre Bétadine. Tous ses vêtements lui avaient été retirés et enfournés tels quel dans un grand sac poubelle bleu. « D’ailleurs je reviendrais sur ces sacs poubelles lorsque je vous parlerais de Monsieur Rémy. ». La tête de mon saigneur sdf était enturbannée d’un magnifique pansement et il ronflait joyeusement lorsque je rejoignis son voisinage proche, tout juste à un lit de lui. J’eusse de loin préféré me trouver en Chine à ce moment précis et être à un li de lui (un li = 500 mètres), ce qui pour mon odorat décidément devenu très délicat, depuis que ma vue déclinait, aurait été de bon aloi. "On" s’était vraiment occupé de lui, il paraissait presque propre simplement vêtu d’une sorte de tablier, vous savez le truc à 2 manches, coupé au carré qui s’attache avec un cordon autour de la taille. Avec ce genre de vêtement la façade avant paraît "habillée" tandis que la face nord laisse apparaître ce que normalement nous cachons et qui nous sert à siéger sur le trône de notre souveraineté. Il était vraiment bien équipé et il disposait aussi d’un bassin, le veinard, qu’on venait lui changer régulièrement. Sauf que, au cours d’un changement de service, d’une urgence urgente et imprévue, on omit de lui changer le dit bassin alors qu’il était plein. Tant et si plein qu’il finit par déborder, puis se renverser sur sa couche. Notre ami, nullement incommodé par la chose se prélassa tout son saoul dans ses déjections à tel point que l’odeur finit tout de même par alerter quelque blouse blanche, qui était bleue en réalité, passant incidemment dans le coin.
Ah non, pas encore, espèce de dégueulasse ! S’exclama la blouse blanche (bleue) en rameutant les troupes.
J’en déduisis que le « encore » signifiait qu’il avait déjà commis ce forfait auparavant et que cette fois-ci était de trop. Une cohorte de blouses multicolores, des blanches, des bleues, des vertes, des tachées, des immaculées, des froissées, des aux plis impeccables, fondirent alors sur notre ami comme un essaim de sauterelles africaines affamées sur un champ de céréales génétiquement modifiées qui n’aurait pas encore été fauché par José. ----- Manu militari, voilà notre déféqueur de service prestement sommé de se retirer séance tenante de ses draps embaumants.
Allez hop, tu vas te laver et tu te rhabilles.
Ensuite tu dégages de là.
Y en a marre maintenant, ouste, du balai
Si ça t’amuse de nous faire Ch...r, et bien pas nous.
C’est au moins la 3e fois cette semaine.
Je te préviens si tu te pointes de nouveau, je te vire à coups de pieds dans le cul.
C’est alors que je remarque que le sdf est tout simplement hilare. Apparemment c’est son truc, se faire admettre aux urgences pour se faire faire une petite toilette et ensuite ouvrir en grand les vannes annales, qui n’ont strictement rien à voir avec le wallahala des guerriers vikings, pour ceux qui confondraient !
Où vont se nicher les petits plaisirs ? On se le demande après avoir vu, doublement vu d’ailleurs, ce qui se passait tout à côté de moi.
Il y eut d’autres petits incidents plus ou moins similaires, plus ou moins cocasses, au cours de cette nuit en observation que je passais constamment entre deux sommeils. Impossible en effet de dormir très longtemps, le remue ménage était quasiment permanent, ponctué de cris et autres onomatopées, d’invectives diverses et hurlements, sans compter que sur les coups de 3 heures du matin, on vint enfin me quérir pour me faire voir par un médecin. Un infirmier très aimable, ce qui est assez rare pour être souligné, fit rouler mon lit jusque dans une des salles d’examens qui étaient tant convoitées par les patients des urgences, car c’était le signe qu’on allait s’occuper de vous. Mais voilà son amabilité n’était qu’une façade pour me dépouiller. A peine étions nous seuls dans la salle d’examen qu’il me demanda de me déshabiller et de lui remettre tous mes papiers et valeurs que je pouvais avoir sur moi. Tout y passa ou presque :
Mes clés d’appartement
Mes cartes bleues.
Mon argent liquide, et solide aussi.
Mes tickets restaurants.
Une fois nu ou presque, je conservais tout de même mon boxer, il me tendit la tenue du parfait patient, à savoir la blouse déjà décrite quelques lignes plus haut. Je conservais aussi par devers moi mon précieux outil de communication mobile sans fil, autrement dénommé Blackberry® par les initiés avec son précieux cordon me permettant de le maintenir chargé pour parer à toute éventualité. Une envie de plus en plus pressante me démangeait d’appeler chez moi pour que l’on vienne me sortir de cet endroit qui ressemblait de plus en plus à l’enfer sur terre. L’infirmier m’expliqua qu’il allait remettre au coffre dans une enveloppe fermée tous mes biens afin d’éviter que l’on me dérobât quoique ce soit au cours de mon séjour parmi eux. Pour ce qui était de mes vêtements et de ma sacoche, il me tendit un grand sac poubelle bleu de 120 litres au bas mot, pour que j’y mette tout dedans. C’était la procédure, ensuite ce sac serait glissé sous le lit pour éviter là aussi qu’un malfaisant ne s’avise de venir me dérober mes affaires personnelles. Lorsque ces formalités administratives furent expédiées, il me laissa seul dans la salle en précisant qu’un médecin n’allait pas tarder à venir me voir. Il était 3 heures du matin, je venais de franchir une nouvelle étape, on allait enfin me prendre en charge.