Enfin un peu de calme et surtout le silence, j’allais pouvoir me détendre un peu et souffler. Il fallait absolument que j’explique au toubib que je ne pouvais pas rester à St Antoine, ce n’était pas du tout pratique pour ma femme. Je préparais mentalement tous mes arguments pour qu’un transfert rapide soit effectué vers la providence, hôpital situé tout a cote de chez moi et nettement plus "humain" qu’ici. Mais ça je ne pouvais le dire, sous peine de me faire pénaliser. Mon discours était bien rodé, de plus en plus, je le connaissais par cœur pratiquement et il commençait à ressembler à un monologue puisque le médecin tardait de plus en plus à venir. En fermant l’oeil gauche, j’arrivais à lire l’heure sur l’écran de mon Black Berry® maintenant et c’était bien plus pratique que ma tentative avortée dans l’après midi avec ma montre Ferrari® (note de l’auteur : en plus de Rim, penser à se faire sponsoriser par la Scudéria ou au moins se faire inviter en VIP sur un grand prix de F1) 3h45, c’est bien ce qu’il me semblait, le temps filait et toujours pas de médecin. Si ça se trouve, l’infirmier n’en était pas et je venais de me faire dépouiller proprement, en plus il avait du me mettre dans une salle inutilisée et peut être fermée à clef pour éviter qu’on me trouve pendant qu’il commettait d’autres forfaits. Je me décidais à vérifier la chose quand la porte s’ouvrit laissant le passage à une infirmière, pardon, un médecin, car il s’agissait d’un médecin ou de ce qui s’en approchait le plus.
alors qu’est ce qu’on là ? Entama t’elle.
Estimant qu’elle ne s’adressait pas à moi je m abstint de lui répondre et compte tenu de la situation je ne voyais aucune raison valable de lui parler.
On a perdu sa langue ?
...
Bon alors on va me dire ce qu’on a, sinon on ne va pas s’en sortir.
...
Je persistais dans mon mutisme, ne supportant pas cet "Ontoiement" et lui signifiant ainsi par mon silence outragé, mon désaccord le plus total. Je trouve excessivement détestable cette manie qu’ont les médecins de parler de leurs malades comme s’ils n’étaient pas des êtres de chair et de sang. Ils ont 2 techniques pour cela, la première est celle dont se servait miss étudiante en médecine et qui donne ce genre de répliques débiles :
Alors mon petit monsieur, comment on se sent ce matin ?
On a bien dormi ?
On prend bien tout son traitement ?
Et l’appétit ? On mange normalement ?
On va à la selle ? Combien de fois par jour ?
On a des selles molles ou dures ?
Quand on urine ça ne brûle pas ?
On se lève un peu ? Il faut faire un peu d’exercice.
Sinon, on va se fâcher.
Bon alors si on est sage, on pourra sortir dans un ou deux jours.
C’est le genre de propos que l’on peut entendre ----- parfois et dont le but est de nous infantiliser pour maintenir une certaine distance entre le puit de sciences qu’est le nouvel interne en médecine et le patient ignare à qui il faut s’adresser comme à un gamin de 2 ans. Quoique...
L’autre technique, plus évoluée et utilisée surtout par les Professeurs en médecine devant un panel d’étudiants médusés ressemble à ceci :
Le sujet, homme de 45/50 ans
Admis en neurologie pour des troubles de la vision.
Un premier IRM normal, pas de lésions apparentes.
Pas d’antécédents neurologiques, pas de facteurs de risque connus, en dehors d’un léger embonpoint normal pour cet age.
Notez que les pupilles sont réactives et que le patient ne semble pas désorienté.
Fermez l’oeil gauche.
Aucun problème de latéralisation, les mouvements oculaires sont souples et amples.
L’oeil droit
Mouvements verticaux presque normaux, l’oeil reste bloqué en position latérale gauche et le sujet n’arrive pas à suivre des mouvements simples.
Légère diplopie en constante amélioration depuis son admission.
A ce moment en général le Professeur s’interromps et lève un sourcil interrogateur en direction de son groupe de potache en espérant que l’un d’entre un peu plus doué ou téméraire fasse un commentaire pertinent.
Heu.... ça ressemble à un Avc
Bien et ?
On doit confirmer par un second Irm avec injection de produit de contraste ?
Mais encore ?
Faire une recherche en hypercholestérolémie avec un bilan hépatique et diabétique.
Et c’est tout ? Poursuit le pacha.
Non, si l’IRM ne donne rien il faut en refaire un 48 h plus tard et on prescrit une PL + un échocardiogramme pour être sûr.
Un silence se fait pendant que The Boss réfléchit, puis s’adressant à l’infirmière présente.
Vous avez tout noté ?
Hochement de tête de l’intéressée.
Alors on y va, je repasserais demain après les résultats de l’Irm.
Les étudiants ayant osé parler sont fiers comme Artaban et se sentent gonflés d’importance tandis que les hésitants, eux, sont mortifiés et jurent tout bas qu’on ne les y reprendra pas.
Le maître de cérémonie enfonçant alors le clou, désigne un ou une des étudiants venant de se faire mousser et lui confie la mission de s’occuper du sujet avec obligation de faire un compte rendu détaillé qui devra être sur mon bureau demain matin à la première heure. C’est à ce moment que celui qui l’a ouvert en premier se rend compte qu’avec les 48 heures de garde qu’il vient de se taper, plus les cours à potasser, les révisions pour les prochains partiels et le cas concret, il va encore se faire une nuit blanche en se maudissant de sa connerie et jure tout bas qu’on ne l’y reprendra pas.