Mademoiselle, je suis étudiante en médecine, considérant que mon mutisme était du à un réveil difficile, me laissa quelques brèves secondes de répit avant de poursuivre en me voyant finalement ouvrir un oeil.
Je sais ce que c’est, les réveils en pleine nuit, on a du mal à émerger.
? Me permis-je de lui répondre.
Consultant mon dossier, elle poursuivit.
Troubles de la vue, nausées, vertiges sans perte de conscience, IRM normal. Bien, je vois. Et maintenant comment vous sentez-vous ?
Si je garde l’oeil gauche fermé, ça va. Je suis juste un peu fatigué.
Bon je vais regarder, ça ne doit pas être bien grave. Asseyez-vous au bord du lit s’il vous plait. Laissez vos jambes pendre en souplesse.
Et hop un petit coup de marteau sur le genou et la jambe se tend en avant par réflexe, idem de l’autre côté. Elle sort de sa poche une abaisse langue en bois et elle le passe rapidement sur la plante de mon pied gauche, le droit ensuite. Elle ne me demande pas si je sens quelque chose ou si ça me chatouille. Le résultat est évident, elle a failli se prendre mon pied en pleine face. Un instant je la soupçonne d’être une fétichiste un brin sado maso, car ma réaction semble la combler d’aise. Je m’attends presque à ce qu’elle recommence la chose, mais non, au lieu de continuer avec mes pieds, elle saisit ma main droite dans la sienne, paume ne l’air et hop un petit coup de gratouille avec l’abaisse langue. La main gauche subit le même traitement ainsi que mes deux avant bras. Elle doit sûrement étudier la gratouille au logis ou autre chose dans le genre à moins qu’elle ne cherche à découvrir où se situe mon point G (G pour gratouille, pas pour Gâterie, bande de pervers).
Elle semble vraiment satisfaite de ma coopération et mes réactions épidermiques ne sont pas pour lui déplaire si j’en crois son sourire béat. Quoique ! Une autre explication serait que pour la première fois de sa courte carrière, elle ait enfin réussi à faire coller la théorie avec la pratique. D’ailleurs connaissez-vous la différence entre la théorie et la pratique ?
...
Alors ?
...
C’est bien ce que je pensais, vous ne savez pas. Remarquez, le contraire m aurait étonné car si vous aviez 2 sous de jugeotte, vous ne seriez pas en train de perdre votre temps à lire toutes mes péripéties. Mais comme je suis bon prince (mon saigneur) je vais vous livrer le secret.
----- La théorie c’est lorsqu’on a tout compris mais que rien ne fonctionne. Ça ressemble à un discours d’homme ou de femme politique, vous ne trouvez pas ?
La pratique, c’est quand ça fonctionne mais qu’on ne sait pas pourquoi et là rien à voir avec la politique qui elle ne fonctionne jamais.
Après la séance je te chatouille, histoire de dérider l’atmosphère, ma copine l’interne de service corvéable à merci, se décide à me sortir le grand jeu. La voilà qui sort un stylo lampe d’une autre de ses nombreuses poches, en plus de celles qu’elle a sous les yeux et dans un geste de spéléologue avertie elle me colle la lumière dans les mirettes. Heureusement je m y attendais et je fermais prestement l’oeil qu’elle voulait examiner, elle n’avait qu’à me demander avant de le faire.
Ouvrez votre oeil droit s’il vous plait, me dit-elle.
Je ne résiste jamais à quelqu’un qui me dit s’il vous plait, alors galamment je m’exécutais pour bien lui montrer que lorsqu’on y met les formes, tout va beaucoup mieux.
Le gauche, maintenant s’il vous plait.
Décidément, elle commençait à me plaire la juvénile étudiante. Je me promettais intérieurement d’accéder à toutes ses requêtes dorénavant, et il n’était plus nécessaire qu’elle les ponctuent d’un s’il vous plait. Elle m’avait montré qu’elle était capable d’amabilité et cela me suffisait maintenant.
L’exercice de la lampe torche touchait à sa fin et comme ses congénères des quinze vingt cet après midi, elle décida de me faire passer le test du :
Suivez mon stylo, en haut, en bas, à droite, à gauche.
Je vous passe les détails (Cf. les épisodes précédents pour ceux qui auraient oublié). Je passais brillamment tous les tests, malgré l’heure tardive, tôtive devrais-je dire, puisqu’il était passé 3 heures du matin.
Tôtive n’existe pas ? Vous êtes sûr ?
Ok, si vous le dites, je ne vais pas chicaner sur un mot.
Malgré l’heure avancée, voilà c’est mieux ainsi ? Cela vous convient ? Alors, merci de me laisser continuer mon récit.
Après les épreuves théoriques (vous vous souvenez ?) elle me demanda de passer à la pratique (vous suivez toujours ?) en descendant du brancard. Une fois debout, légèrement chancelant tout de même, je me pliais à toutes ses exigences.
Je marchais sur une ligne imaginaire les bras à l’horizontale, les yeux fermés.
Je touchais mon nez avec ma main droite, puis ma gauche, droite, gauche, droite, gauche.. Plus vite, plus vite, plus vite, plus vite. Respirez...
----- Je fis aussi le flamand rose, en équilibre sur une patte puis sur l’autre.
J’étais sur le point de lui faire la danse des canards, juste histoire de lui de quoi j’étais encore capable et pourquoi pas toucher le sol les paumes à plat sans plier les genoux. Mais non, rien de tout cela ne fut nécessaire, avec une moue dubitative elle reprit la lecture de mon dossier, se gratta la fesse droite, mâchonna son stylo, se racla la gorge et bien d’autres choses encore. Visiblement elle était perturbée et je me demandais bien pourquoi. Au bout de quelques longues secondes, elle me reprit la tension, fit venir une infirmière pour me prendre la température, le pouls et le taux de sucre. Une fois toutes ces formalités accomplies, elle me demanda une nouvelle fois de suivre son stylo des yeux puis d’un seul coup d’un seul elle m’annonça :
Là, vraiment je ne sais pas ce que vous avez, il faudra voir un spécialiste !
Et hop, derechef, elle prit la poudre d’escampette me laissant dans l’expectative et sans plus d’explication.
UN SPECIALISTE, je devais voir un SPECIALISTE ! En voilà une grande nouvelle, et un SPECIALISTE de quoi ? Je me le demandais bien.
Je connaissais toute une variété de spécialiste :
L’analogiste, pour ceux qui ont des problèmes anaux.
Le philatéliste quand les maux filent.
L’échologiste pour les bègues, égues, égues, gues...
Lorientaliste pour les porcs bretons.
Le parisianiste, pour lui la culture des parasites est capital.
Le syndicaliste pour les grèves de la faim.
Mais pour le cas qui me concernait, ça devait être une variété nouvelle, le spécialiste du "je ne sais pas", celui qui s’occupe de ceux qui n’ont rien.
Un néantologue ?
Je ne voyais que ça, enfin si voir est bien le terme adéquat dans mon cas. Quand j’y pense attendre 9 heures pour m’entendre dire ça ! c’était vraiment abuser. Ma décision était prise, je n’allais pas faire long feu ici. Juste le temps de terminer la nuit et dès potron minet, enfin, quand les services administratifs seront ouverts, c’est à dire vers 10/11heures, le temps qu’ils fument leurs clopes, boivent leurs cafés, lisent leurs mails, discutent le bout de gras avec la voisin, appellent la nounou, le mari, l’amant au téléphone pour leur demander de ne pas oublier de faire ce qu’ils ont à faire avant midi, parce que sinon, il sera trop tard et il n’y aura plus rien pour ce soir. Ensuite le temps qu’ils commencent à travailler sérieusement, il sera bien midi, l’heure d’aller déjeuner pour revenir sur les coups de 14h30. Alors il feront une première pause café et râleront sur leur charge excessive de travail, se plaindront des patients (ces chieurs) qui ne font que râler, dans tous les sens du termes, ils en profiteront pour gémir sur leurs conditions de travail et leurs salaires de misère tout en signant la dernière pétition du syndicat qui veut entamer des négociations avec le ministère pour réduire les horaires de travail, demander la retraite à 50 ans, augmenter les effectifs surchargés de travail et il sera déjà presque 16h, l’heure de commencer à ranger les dossiers pour être prêt dès demain matin à commencer une nouvelle journée exténuante.
Avec un petit peu de chance je serais sorti ce soir me dis-je.