Après l’interlude avec miss je ne sais rien mais je dirais tout, on me reconduisit en salle d’observation où se produisit une des nombreuses anecdotes évoquées précédemment. C’est à peu près à ce moment là que Mr Rémy fit irruption dans ma vie de patient.
C’est mon lit, qu’est-ce que vous faites dans mon lit ?
Monsieur Rémy, vous êtes là ! Votre lit c’est celui-ci.
Ha ! Vous êtes sûre ?
Oui. Allez, retournez vous coucher.
Mes clés, on m’a volé mes clés.
C’est vous qui m’avez pris mes clés ? Dit-il en s’adressant à moi. Et puis vous êtes dans mon lit.
Et m...e, fallait que ça tombe sur moi. Pas moyen d’avoir la paix, voilà que je suis voisin avec un gars qui croit que je lui ai piqué ses clés et son lit. Heureusement, pour une fois, (une fois n’est pas coutume, deux fois t’es sans costume), une infirmière se trouvait présente et elle recadra Monsieur Rémy.
Vos clés, c’est votre fille qui les a prises Monsieur Rémy. Elle est partie chercher des affaires de rechanges. Et votre lit c’est celui-là, laissez donc votre voisin tranquille, il a besoin de dormir.
Mais je vous dit qu’il m’a volé mes clés, vous m’écoutez ou bien ?
Je viens de vous le dire, c’est votre fille qui a vos clés.
Mais pourquoi, elle a fait ça ?
Pour vous chercher du linge de rechange. Vous vous êtes souillé, vous vous souvenez ?
Ha ! C’est pour ça qu’il est dans mon lit ?
Ce n’est pas votre lit, le votre c’est celui-ci, on a été obligé de changer les draps.
Mais pourquoi ? Et je veux mon pantalon, où est mon pantalon ? Je veux partir d’ici, je rentre chez moi. Rendez-moi mes clés. Vous m’avez volé mes affaires, vous n’avez pas le droit.
Bon alors maintenant vous allez m’écouter et vous calmer. Vous êtes dans un hôpital ici et il y a des malades.
Je suis pas malade, moi. Qu’est-ce que je fais ici. Rendez-moi mes clés, on m’a volé mes clés.
C’est votre fille qui vous amené ici, il paraît que ça fait plusieurs jours que vous ne mangez plus.
J’ai pas faim !
Mais faut pas vous laisser mourir de faim, c’est pas bien Monsieur Rémy, votre fille s’inquiète.
Elle s’en fiche, oui.
Faut pas dire ça.
Rendez moi mes clés, c’est tous des voleurs et mes affaires où elles sont ?
Là, regardez. On a tout mis dans le sac en plastique, sous votre lit.
C’est un sac poubelle ! Faut pas jeter mes affaires. Vous avez pas le droit, c’est à moi !
Mais non, on ne va rien jeter. Le sac c’est juste pour ranger vos vêtements sous le lit. Comme ça personne ne viendra vous les voler. -----
C’est un SAC POUBELLE, je vous dis. Faut pas jeter mes affaires.
Monsieur Rémy au comble de l’exaspération ou du désespoir entreprit alors de renverser le contenu du sac sur son lit, chemise, pantalon, chaussettes, chaussures, casquette tombèrent en vrac sur les draps.
Mon slip ! On m’a volé mon slip. C’est vous, me demanda t-il ? En se retournant.
Hu !
L’infirmière se porta de nouveau à mon secours avant qu’il ne poursuive et que je lui réponde.
Monsieur Rémy, maintenant vous cessez de faire l’enfant. Vous me ranger tout ça et vous dormez ! Il faut vous reposer et puis je dois vous perfuser. Vous êtes perturbé.
Je suis pas fou, on m’a volé mon slip ! Et mes papiers ? Et mes clés ? C’est un repaire de voleur, je m’en vais.
Sans prendre la peine de retirer sa blouse hôpital, il commença à enfiler son pantalon fourrant d’un geste rageur les pans de la blouse dans son pantalon et ses bretelles par-dessus le tout. Il s’assit sur son lit et saisit ses godillots entre ses mains avec un air absent. Il ne bougeait plus, comme si on l’avait débranché, le regard vide et d’un seul paraissant incroyablement âgé, la peau tannée, ridée avec une expression de vide absolu en lui. En l’espace d’une fraction de seconde il s’était transformé en Pinocchio inerte avec une tristesse incroyable peinte sur son visage fané.
L’infirmière s’approcha de lui et le fit s’allonger dans le lit. Il n’opposait aucune réaction, complètement absent et indifférent à tout ce qui l’entourait. Elle lui retira son pantalon, remis toutes ses affaires dans le sac poubelle bleu pour glisser celui-ci sous le lit. Pour finir elle recouvrit son corps décharné d’un drap laissant juste son bras gauche dehors pour y brancher la perfusion. Une fois ces gestes médicaux accomplis, elle posa avec tendresse une main sur son front en murmurant :
Maintenant ça va aller, reposez-vous.
En le quittant elle me fit un petit sourire contrit, s’excusant presque pour le comportement de cet homme complètement déboussolé et dépassé par les événements. Sans qu’elle ne me dise un mot je pensais avoir compris : « Alzheimer ».
Pendant ce qui me parut durer une petite heure, un calme reposant s’installa dans la salle d’observation, la nuit avait longue et difficile, émaillée d’incidents, cocasses pour certains, plus dramatiques pour d’autres. Le jour pointait le bout de son nez et chassait lentement les ombres, dissipant les dernières brumes de la nuit. Certains commençaient à s’agiter dans leurs couchages, la lumière du jour naissant, venant les inciter à revenir parmi le monde des vivants. Terminés les chuchotements, les talons recommençaient eux aussi à claquer dans les couloirs comme les portes que plus personne ne prenait la peine de retenir maintenant. Les bruits s’éveillaient en même temps que nous, pauvres patients. Déjà quelques voix s’élevaient ici où là, réclamant un pistolet ou un bassin, voire un changement de draps quand c’était trop tard... D’autres plus gaillards et affamés voulaient avoir leur petit déjeuner, chacun à sa manière souhaitait qu’on lui prêtât attention.