J’avais moi aussi mon quota de réclamations à faire valoir. Mon estomac me faisait savoir avec force gargouillis qu’il était vide depuis un bon bout de temps et ce n’est pas parce que j’avais un peu de gras en réserve qu’il fallait faire maigre. Carême était passé depuis longtemps et il y avait un bout à patienter avant de faire Ramadan, il n’y avait donc aucune raison objective valable pour que j’imite les morses en vivant sur ma graisse... C’était la mienne et j’y tenais, en plus je suis un peu radin et je déteste le gaspillage inutile. D’autant que j’ai un solide appétit le matin et qu’il m’arrive avec l’ami Rick O’Rey, le petit des Jeunets, de partager un bon bol de lait avec des tartines de pain frais tout juste grillé, du beurre (en vrai un truc aux oméga 3) et une confiture de cerises griottes. Sans compter les matins ou je fais "a traditional English breakfast". Tout ceci me faisait saliver pire qu’un boule dogue devant un bel os à moelle et j’espérais vivement qu’on allait bientôt nous servir de quoi tenir la journée. C’est à dire 2 morceaux de pain rassis qu’il fallait tremper une bonne demie heure avant de les ramollir suffisamment pour être mâchés, le tout assorti d’un morceau de beurre qui venait de faire ami ami avec la banquise, un liquide chaud d’une vague couleur maronnasse et un petit pot de gelée insipide. Je suis d’accord avec vous, c’est absolument immonde et on prendrait presque du plaisir à s’enfiler un demi litre d’huile de foie de morue à la place. Mais c’était à M A N G E R et j’étais prêt à dépouiller mon voisin si nécessaire. Le moral remontait en flèche, surtout que dans les couloirs on entendait le bruit, reconnaissable entre mille, du chariot transportant notre maigre pitance. Tous, dans la salle d’observation, même les plus atteints reprenaient soudainement vie. Ici et là, on se redressait, on tentait de s’asseoir le plus confortablement possible, des ombres de sourire se dessinaient, les yeux se mettaient à briller : Le petit déjeuner arrivait !!!
Il doit exister une sorte de prédestination pour exercer certains métiers tant la personne qui servait le petit déjeuner collait aux clichés que l’on peut avoir. En l’occurrence nous avions affaire à une "matronne" joufflue jusqu’au bout des doigts qu’elle avait boudinés. Guère plus d’1m60 pour une circonférence approximativement identique, toute en rondeur de la tête aux pieds qui débordaient largement de ses sabots qu’elle faisait claquer en roulant, car on ne pouvait parler de marcher. Elle roulait, ondulait, tremblait de partout comme un bloc géant de ----- gélatine. La chevelure grasse d’un blond roux, enserrée dans un filet et surmontant le tout une coiffe ridiculement trop petite, laquelle était ornée du nom et du logo de la société de restauration qui osait proposer un truc infâme baptisé du doux nom de : "Petit déjeuner gourmand" ou bien "Encas Gourmet" quand ce n’est pas "La tartine fleurie" ou "La ronde briochée". Une autre constante dans le cliché de la femme de service, c’est sa bonne humeur permanente et son sourire 180 degrés, d’une oreille à l’autre, avec des yeux pétillants de malice et de plaisir non dissimulé d’être celle que tout un chacun désespérait de voir arriver.
07H00 du matin, le service commence. La distribution des pains se fait accompagnée d’une infirmière qui doctement décrète, en fonction de la pathologie de chacun, si on a le droit de se restaurer ou pas. Elle vérifie sur sa liste, demande parfois une précision avant de trancher les cas litigieux. Ses décisions sont sans appel et inutile de se faire représenter par un avocat, elle juge souverainement et selon son avis un bol fumant est attribué aux heureux élus. Après les différents jeux de chaises musicales cette nuit, je me suis retrouvé à peu prés au centre de la salle contre le mur du fond. A priori je suis bien placé dans la file d’attente pour être servi assez rapidement. Je suis à trois lit du bonheur et je frôle l’orgasme juste en imaginant le goût du pain excitant mes papilles. Plus que deux lits et c’est mon tour, je me passe la langue sur mes lèvres desséchées et pour une fois je louche de plaisir, c’est la multiplication des petits pains, je suis le fils de Dieu. Je suis sur le point de défaillir, que l’on me crucifie si je ne suis pas servi sur le champ.
Mais
Mais
Mais...
Hé ho, et moi ? Espèce de Juda, Œil de bœuf osais-je même penser. Que tu sois pendue pour cette trahison et crois moi je ne m’en laverais pas les mains.
Je réclame à corps et à cris que l’on me sustente, mais rien n’y fait, même la promesse de lui donner 30 pièces d’or ne fait pas changer d’avis à l’infirmière en chef qui me sort en vrac :
Tant qu’on ne sait pas ce que vous avez, ça sera la diète, c’est une mesure de précaution et puis vous avez une perfusion qui vous alimente, pas de panique vous ne mourrez pas de faim -----
Je veux voir un médecin !
Vous en avez vu un cette nuit.
Vous rigolez ? c’est un fantasme de toubib que j’ai vu cette nuit, pas un vrai.
N’insistez pas, vous ne pouvez pas manger et ça ne vous fera pas de mal !
Mouais, bien sûr, c’est facile pour vous. Vous savez depuis combien de temps de suis là, sans que personne ne s’occupe de moi ?
On a eu d’autres urgences monsieur et puis ça ne sert à rien de vous énerver.
Je ne m’énerve pas, j’ai faim et je veux sortir d’ici. J’ai déjà demandé qu’on me transfère à côté de chez moi.
Il faut d’abord voir un médecin, vous êtes aux urgences ici et on ne sort pas comme ça. Un peu de patience s’il vous plait.
De la patience, c’est facile pour vous, je suis là depuis hier soir et personne ne s’est vraiment occupé de moi. Si vous l’aviez fait, vous sauriez peut être ce que j’ai et je serais déjà sorti pour laisser ma place à d’autres urgences.
Et toc, la voilà mouchée la pimbêche revêche. Si elle croit que je vais me laisser faire, elle va vite se rendre compte que j’ai du caractère et surtout avec l’estomac vide, je tourne vite au vinaigre. Je commence vraiment à en avoir ras le bol (de café). Je me prostituerais presque pour juste mettre mon nez au dessus de ce breuvage divin. Sentir son arôme me pénétrer lentement, monter en puissance en moi, gonfler, prendre en force pour finalement exploser et me faire me pâmer comme une midinette. Alors l’intensité du plaisir ressenti me laisserait pantelant, les mains serrées autour de sa douce chaleur, je le porterais à ma bouche entrouverte pour le goûter enfin, pour qu’il s’insinue entre mes lèvres qui se crisperaient légèrement à son contact avant qu’il ne commence à couler dans ma bouche, d’abord une petite gorgée pour l’apprécier, le déguster avant d’en boire une longue rasade me procurant une seconde vague intense de plaisir. Le regard brillant, humide, je reposerais doucement le bol en soupirant d’aise avant de recommencer une nouvelle fois.
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Episode 20
Attention c’est chaud