Allo ?
Oui, c’est moi.
Comment ça va, tu as bien dormi ?
Ben, ça va à peu près mais j’ai presque pas dormi.
Tu as vu un médecin ?
Oui, vers 3 heures du matin.
3 heures du matin ! Ils sont pas bien...
Tu parles, surtout pour m’entendre dire "On ne sait pas ce que vous avez, faudra voir un spécialiste".
Je débitais la dernière réplique sur un ton légèrement gnan gnan, histoire de bien faire passer pour une "Conne" l’interne de cette nuit.
Et tu es toujours aux urgences ?
Je suis dans ce qu’ils appellent la salle d’observation, mais oui, toujours aux urgences.
C’est quoi, cette salle ? Tu n’es pas dans une chambre ?
Non, on est tous mélangés, hommes et femmes avec juste un rideau pour séparer la pièce en deux. Mais comme ils n’arrêtent pas d’ouvrir le rideau et de nous changer de place, c’est comme si y avait rien.
Même la nuit ?
C’est le bordel complet, y a même un gars qui s’est arraché ses perfusions et qui s’est barré et puis un autre qui s’est chié dessus exprès et ils l’ont viré direct...
Tu veux que je passe quand à l’hôpital ?
Fais au mieux, je ne bouge pas d’ici et si je sors je te préviens.
D’accord, je te tiens au courant moi aussi.
Dis ? Tu peux appeler La Providence pour voir s’ils ont de la place ? Il faut absolument que je parte d’ici, c’est un asile de fou et puis comme ils ne savent pas ce que j’ai, je serais aussi bien ailleurs.
De la place où ça ?
Je sais pas, moi, explique leur ce qui m’est arrivé, tu verras bien. Mais même si je ne suis pas une célébrité.... SORS MOI DE LÀ !!!
Tu as pensé à prévenir le bureau ?
Oui, j’ai réussi à envoyer un mail ce matin, en fermant l’œil gauche je me débrouille.
Tu es sûr que ça va ?
Bah oui, pourquoi ?
C’est bizarre quand même qu’ils ne savent dire ce que tu as.
Si tu voyais comment c’est ici, tu comprendrais. Tu comprendras quand tu viendras.
Ok, bon à tout à l’heure. Je t’appelle quand je me mets en route.
Bisous. .....
Bisous.
En raccrochant, je regarde d’un oeil l’heure sur mon Black Berry©. Il est à peine 8h00, la journée va être longue, je le sens. Houlà, ça fouette même grave, aux aisselles, il est bien 20h passées, ça me fait un sacré décalage sanitaire, 24h à cuire dans le jus, il y a de quoi faire concurrence à un élevage de volailles en batterie question odeur... Et cette sécheresse gingivale qui réveille le goût de mes multiples rendus de la veille, je dois refouler du goulot pire qu’une morue en train de sécher sous le soleil de Porto. J’ai faim, j’ai soif, j’ai envie de me tirer d’ici au plus vite, quitter cette cour des miracles, où le seul vrai miracle, c’est que l’on puisse en sortir sans dommages apparents. A ma droite, M. Rémy décide de remettre le couvert et je deviens son plus grand le temps d’un monologue.
Faites attention, c’est des voleurs.
...
Ils m’ont tout pris.
...
Rémy, je m’appelle Rémy, c’est mon nom avec un Y pour par confondre avec le prénom.
...
Mon prénom c’est Jacques, mais tout le monde m’appelle Remy. C’est comme ça que je m’appelle, Remy. Vous avez vos affaires ?
Heu... Oui.
Faites attention, c’est que des voleurs ici. Moi ils m’ont volé toutes mes affaires.
Non regardez, ils les ont mises sous votre lit, dans le sac bleu.
Ça fait trente ans que j’habite ici, pourquoi vous êtes dans mon lit ?
Que pouvais-je répondre ? Je n’étais en rien préparé à une rencontre du troisième type. Tenter de lui expliquer que nous étions dans un hôpital n’aurait pas servi à grand chose, physiquement c’était la stricte réalité, psychiquement ça ne l’était pas. Je n’étais qu’un intrus dans son lit et le personnel hospitalier une bande de voleur. D’un autre côté j’étais égoïstement préoccupé par mon propre état de santé et mon don de double vue ne me permettait guère de garder les yeux ouverts très longtemps. Si je commençais à m’habituer lentement à une vision kaléidoscopique sans avoir envie de rendre cela ne me permettait pas vraiment d’avoir une vision claire des choses. ..... Lorsque quelqu’un venait à m’adresser la parole j’avais le réflexe de porter ma main gauche à mon oeil pour le couvrir de la paume pour rétablir une vision monoculaire de mon environnement. Ce faisant la myopie de mon oeil droit ne me permettait tout au plus de distinguer une vague silhouette floue et j’identifiais le sexe de mes interlocuteurs à leur voix - Pas au toucher ni à l’odeur... Pour ceux qui viennent d’y penser -
Il y avait un aspect peu pratique de la chose, car je ne pouvais conserver mes lorgnons en agissant de la sorte. J’avais réalisé le test en les conservant sur le nez avec la main gauche cachant mon oeil. Il en résultait une pression désagréable sur le nez, pas vraiment douloureuse mais suffisamment gênante pour que j’ôte mes binocles. Qui ne porte pas de lunettes ne peut que difficilement se rendre compte de la chose. Mes facultés visuelles bien que diminuées, quoique l’on puisse se poser la question car je voyait pus que double ma vision étant multipliée et par voie de conséquence je me trouvais face à une impossibilité mathématique "comment diminuer ce qui se multiplie" ? Je n’étais pas le fils de qui vous savez et les phénomènes de génération spontanée me paraissaient louches. Aussi, il fallait que je trouve une solution à mon problème pour retrouver un semblant de comportement normal.
Un Kleenex© !!!
Il me fallait un Kleenex© (note de l’auteur : penser à se faire sponsoriser par la célèbre marque de mouchoirs en papier). Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Moi qui d’ordinaire, sans me vanter aucunement, possédais un esprit des plus inventifs qui soit, j’avais oublié de me servir de mon cerveau pour trouver la solution. Pourtant celle-ci me crevait les yeux ; façon de parler car je n’avais nullement l’intention d’en arriver à cette extrémité. C’était tellement évident le Kleenex©... J’en aurais pleuré de joie si une autre question n’était pas venue en travers de mon chemin pour m’empêcher d’arriver à mes fins. Est-ce que je possédais un Kleenex© et si possible un qui n’avait pas encore servi ?
J’entrepris derechef une fouille en règle de ma sacoche, ouvrant toutes les poches, pochettes, soufflets et autres compartiments divers plusieurs fois pour être sûr de ne rien avoir oublié. Je soulevais les rabats, faisais glisser les zips de fermetures éclairs, déclipsais les boutons pressions, furetais dans mes moindres recoins. Tout y passa, y compris la poche poitrine de ma chemise et celles de mon pantalon, j’allais jusqu’à inspecter mes souliers et mes chaussettes. Je tentais de me remémorer à quand remontait ma dernière utilisation d’un Kleenex© pour retrouver l’endroit où j’avais bien pu ranger le paquet salvateur. Pas moyen de m’en souvenir, nous étions en Juin, le temps des frimas hivernaux avec son lot de rhumes ainsi que la saison des allergies étaient loin derrière et je me trouvais dans l’incapacité totale de ma rappeler ce que j’avais bien pu en faire la dernière fois. « Yes » je venais de remettre la main dessus, dans mon portefeuille coincé entre le permis de conduire et les photos des enfants, un reste de paquet trônait on se sait pourquoi à cet endroit.
Peu me chalait d’en trouver la raison intrinsèque, seul le résultat avait de l’importance, j’allais pouvoir mettre mon plan en exécution.
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Episode 22
Peu me chaut !!!