La visite de grand pacha s’est déroulée dans une incompréhension totale. ZeBigBoss ne m’a pas adressé la parole directement, ou si peu, se contentant de vagues grognements ponctuant la lecture de ce qui semblait être mon dossier. Tout juste remarqua-t-il le cache de fortune qui me couvrait l’œil en lançant un truc ressemblant à « cékikaféssa ? » auquel il n’obtint aucune réponse et il s’en fichait royalement car sans attendre il changeait de question « d’pikankiléla ? ». A mes diverses interrogations un de ses sbires me répondait selon le cas :
Ne vous inquiétez pas.
On s’en occupe.
On va voir.
Calmez-vous.
On attend les résultats...
Explosant intérieurement je me dis :
Quels résultats, bandes de glands ? Vous vouliez connaître ma vitesse de déperdition de masse graisseuse en m’affamant ou savoir quel était ma capacité à endurer l’incurie omniprésente à St Antoine sans péter un câble ? Et bien je ne vous ferais pas ce plaisir, mais je vais faire tout mon possible pour vous pourrir la vie à mon tour... Vous voulez jouer au "con" avec moi, ok pas de problème, mais je vous préviens vous n’êtes pas sûr de gagner.
La guerre des nerfs allait commencer, et pas plus tard que maintenant.
S’il vous plait ?
Oui monsieur ?
J’ai besoin d’aller aux toilettes.
Vous ne pouvez pas vous lever ?
Non, ça tourne
Ne bougez pas, je vous amène un pistolet.
Merci
...
S’il vous plait ?
Oui monsieur ?
On me transfère quand ?
Je ne sais pas
On m’a dit que je sortais bientôt.
Qui ça ?
Le médecin.
Lequel ?
Je ne sais pas son nom, vous pourriez vous renseigner. C’est pour le dire à ma femme, elle s’inquiète. -----
Ne bougez pas, je vais voir.
...
S’il vous plait ?
Oui ?
Ma perfusion me fait mal.
Normal, elle est vide, il fallait demander.
Je ne savais pas.
Bougez pas, je vais la changer.
...
S’il vous plait ?
QUOI ?
Vous pourriez refaire le cache sur mon œil ?
Ça ne tient plus ?
Non avec la sueur, ça ne colle pas, faudrait un cache sur mes lunettes à la place.
Bougez-pas, j’reviens avec "ski" faut.
...
S’il vous plait ?
QUOI ENCORE ?
Pouvez-vous m’accompagner aux toilettes.
Ne bougez-pas, j’vais vous donner le bassin.
Non, le médecin a dit qu’il fallait que je marche, mais tout seul j’y arrive pas bien encore. C’est la perfusion qui me gêne.
Bougez pas, j’arrive...
...
S’il vous plait ?
QUOI !!!!!!!!
Vous savez quand est-ce qu’on me transfère ?
NAN, je suis occupé !!!
Vous pourriez vous renseigner s’il vous plait ? On m’a dit que c’était pour cet après midi et il faut que je prévienne ma femme au cas où si elle vient. Vous comprenez ?
-BON, bougez pas, je vais voir.
...
S’il vous plait ?
Je ne sais pas quand vous sortez.
Heu, non c’est pas ça.
QUOI ALORS ?
J’ai soif, je peux avoir de l’eau.
Y a une carafe là !
L’eau est chaude et...
Bougez pas, j’vais en chercher.
...
Dites ?
Groumffff ?
J’ai pas de verre.
Bougez pas...
...
S’il vous plait ?
GRRRMMMLMLMLML !!!!
J’ai renversé l’eau en me servant, j’vois pas bien. Ça coule sur par terre.
Pouviez pas demander qu’on vous serve ?
j’voulais pas déranger, juste pour un verre.
Bon, bougez pas, j’viens essuyer.
...
S’il vous....
SKIA ’CORE ???
Vous pouvez me servir à boire ?
Encore ?
Bin non, avant j’ai renversé et j’ai pas bu.
Bougez pas.
...
Dites ?
OUAIS
Elle a un goût bizarre, c’est normal ?
Comment ça ?
Goûtez.
Elle est très bonne c’t’eau, tenez vot’ verre.
Vous pouvez m’en donner un autre ?
CAISSILA SUILA ?
Vous avez bu dedans.
...
Je vous passe certains petits détails liés à l’énervement croissant du personnel affecté à l’observation dans la salle du même nom. Attentif à ne pas en vexer un plus qu’un autre, je m’attachais soigneusement à faire mes demandes aussi diverses que variées à tous ceux qui passaient à ma portée. L’après midi s’éternisant, j’avais du les apostropher chacun deux ou trois fois et l’information commençait à circuler entre eux. J’étais devenu le « chieur » de service dont il fallait absolument se débarrasser au plus vite. Une ou deux fois, j’ai pu surprendre des bribes de conversation et je constatais avec plaisir qu’ils commençaient enfin à s’occuper de moi pour m’évacuer hors de ces lieux. Je jubilais intérieurement, j’arrivais enfin à mes fins, finalement...
Tu as demandé en chir’ s’ils avaient de la place ?
Ils n’en veulent pas et ils n’ont pas de lits.
Et en cardio ?
Complets eux aussi.
Faut le transférer, on peut pas le garder.
Au deuxième, ils ont une place qui se libère ce soir je crois.
Je m’en occupe et puis ça nous fera une place de plus ici. -----
Je les aurais bénis, c’était la voix de la raison qui les faisait parler ainsi.
Entretemps, family’s cyclope est passée me voir. Mon épouse très inquiète, j’avais, parait-il, une tête vraiment affreuse - comme d’habitude, lui dis-je - je me suis fait rabroué, parce que - arrête de dire des bêtises, c’est pas marrant - je tentais de la rassurer, je me sentais pas si mal que ça, une bonne douche des vêtements propres et je serais comme neuf ou presque. Prévoyante, elle m’avait apporté un nécessaire de toilette et un coup de gant fut le bienvenu. C’était loin d’être suffisant mais ça redonnait un coup d’éclat à la façade. Mon fils aîné, me voyant continuer mes blagues carambar paraissait rassuré sur mon sort et comme je le disais, à quoi bon s’inquiéter tant qu’on ne sait pas ce que j’ai. A ce point du récit, il me faut vous faire un petit point pour récapituler les choses.
Nous sommes le mercredi 28 juin, j’ai eu un "malaise" il y a un peu plus de 24h. J’ai tout d’abord été conduit aux urgences des quinze vingt puisque je souffrais apparemment d’un trouble visuel. Après divers examens, mon cas ne relevant pas de l’ophtalmologie, j’ai été transféré à la cour des miracles, autrement baptisée : urgences de l’hôpital St Antoine. Je m’y trouve depuis 21h sans avoir été réellement vu par un médecin. J’ai rencontré plus de 9h après mon admission une jeune interne qui m a déclaré tout de go ne pas savoir ce que j’avais et depuis en dehors d’une visite de messire Pacha qui s’était contenté de "passer", personne ne s’était vraiment occupé de moi. En tout cas c’est l’impression que j’avais. A part me prendre les constantes (température, tension, fréquence cardiaque) m’affamer et m’assoiffer par manque de temps, manque de personnel, manque de respect (aussi), on ne s’occupait guère de poser un diagnostic pour m’orienter correctement vers le bon service ou le bon hôpital selon le cas et on omettait soigneusement de me dire quoique ce soit sur mon état. Ils devaient juger que capacités intellectuelles n’étaient pas suffisantes pour comprendre... Voilà ce que j’avais constaté, ressenti. Ce que j’ignorais depuis le début et qui m’avait été délibérément caché ainsi qu’à mon épouse mais pas à mon employeur (sic) c’est que j’avais très probablement été victime d’un AVC, c’est à dire un Accident Vasculaire Cérébral. St Antoine n’ayant pas de service de neurologie cherchait, sans rien me dire de mon état à m’évacuer sur un autre hôpital. Ils en sont même arrivés à faire pression sur mon épouse parce que je refusais un transfert sans que l’on me dise pourquoi on avait choisi cet établissement.
Je vous livre un petit extrait :
Vous savez madame c’est grave ce qu’a eu votre mari.
Qu’est ce qu’il a eu ?
On ne sait pas exactement mais c’est très sérieux, il faut le convaincre d’accepter le transfert, sinon on va l’interner d’office.
L’interner ? Comment ça ?
Oui madame, on ne peut pas le laisser comme ça, votre mari veut sortir et refuse d’aller à Suresnes.
Non, il ne refuse pas et moi non plus. On a simplement demandé une admission plus proche de chez nous, la providence, Henri Mondor ou Béclère par exemple et on veut savoir dans quel service il sera admis et pourquoi.
Vous avez bien lu, un médecin de St Antoine a menacé de me faire interner parce que je refusais une décision unilatérale.
Tout le monde était au courant sauf le principal intéressé et sa famille. Un comble de nos jours.
Tout ceci s’est déroulé alors qu’on venait enfin de me changer de service. Je quittais la salle d’observation des urgences pour "monter" en service. Lequel ? Aucun en réalité, ils l’appelaient le service bleu et aucune pathologie particulière n’y était traitée. C’est en quelque sorte un service de transition en attendant de statuer sur le cas des patients. Avec ma chance habituelle, je ne montais pas seul, je retrouvais Monsieur Rémy à l’étage. Nous n’étions pas dans la même chambre mais il déambulait seul dans les couloirs et quand il me vit allongé dans un lit, il s’approcha de moi pour me demander ce que je faisais dans son lit et ses draps.
Vous m’avez volé mon lit, c’est ma chambre ici. Ça fait 20 ans que j’habite ici. Rendez-moi mon lit.
Monsieur Rémy, faut rester dans votre chambre, allez.
Mais je vous dis qu’il m’a volé mon lit !
On va s’en occuper, en attendant retournez vous allonger.
Le calme est revenu, Monsieur Rémy a fini par réintégrer ses pénates, je goûte mes premiers instants de calme depuis 24h. Ma seconde nuit à l’hôpital ne se déroulera pas aux urgences et c’est un grand pas en avant. ----- Ce n’est pas que maintenant on s’occupe plus ou mieux de moi, c’est même franchement le contraire. Depuis que je suis monté, en dehors de l’infirmière qui m’a installé et s’est occupée de Monsieur Rémy, je n’ai vu personne. Mon voisin de chambre est du genre calme et silencieux, ce qui me convient parfaitement. J’aspire à la tranquillité et à la sérénité, j’ai besoin de récupérer. J’ai pu prévenir ma femme de mon changement de chambre après sa visite aux urgences afin de la rassurer. J’ai passé un coup de fil au bureau pour leur dire que pour l’instant il n’y avait rien de nouveau et que non, on ne savait toujours pas ce que j’avais ; alors que le médecin des pompiers avait dit à mon employeur, ma DRH en l’occurrence, que j’avais surement été victime d’un AVC ; celle-ci s’abstenant bien évidemment de me faire part de ce qu’elle savait. Après tout elle n’est pas médecin et on ne peut guère lui reprocher sa prudence, sauf que dans ce cas, elle aurait du aussi par principe de précaution ne pas faire état de cela à la direction générale. Mais c’est un autre sujet que j’aborderais peut-être un jour, car les conséquences de certains actes et paroles furent très certainement pour beaucoup dans la séparation qui est intervenue depuis entre mon employeur et moi, persuadé qu’il était qu’AVC était synonyme d’aliénation mentale et en tout cas très incompatible avec la poursuite d’un quelconque contrat de travail. Mais ce n’est que mon avis...
De quiproquos en chamailleries diverses avec le personnel médical de St Antoine, je finis par accepter que l’on me transfère à l’hôpital Foch de Suresnes en neurologie, tout en restant très vague sur ce qui m’était arrivé. Leurs arguments étaient que Foch avait un service spécialisé et de la place tandis que St Antoine n’était pas compétent (ça je m’en étais aperçu) et complet. Il fallait donc m’évacuer le plus rapidement possible après m’avoir laissé mariner dans mon jus pendant près de 48h.
A ce sujet, je marinais vraiment dans mon jus, car à l’étage où je me trouvais, il n’y avait pas la possibilité de faire une toilette digne de ce nom et pour la seconde journée de suite je devais me contenter de lingettes et d’un gant humide.