Une vraie nuit de repos enfin.
Jeudi 29 juin, semblant de petit déjeuner, j’ai fait une toilette des plus sommaires dans le lavabo du cabinet de toilettes. Je ne suis pas encore auto-stable et rester debout n’est pas une sinécure. Je n’essaye même pas de me raser sinon je cours à la catastrophe et ça risque de se terminer dans un bain de sang avec les deux oreilles (sans la queue) gisant, tristes trophées sanguinolents. Je m’abstiens donc de prendre le moindre risque. Sans oreilles porter des lunettes n’est guère pratique et je ne vous parle pas du port du chapeau. Dans les couloirs on s’agite un peu, une blonde, qui ne s’est pas présentée, me fait savoir qu’il se pourrait qu’on me transfère dans la matinée à l’hôpital Foch de Suresnes, autant dire à diable vauvert pour quelqu’un qui normalement habite le sud du joli département des hauts de seine comme moi. Petite précision, c’est le département qui est joli, pas moi. Ne prenez pas ma vessie pour votre lanterne. Ma première réaction est de refuser tout net ce transfert, je veux aller le plus près possible de chez moi où il y a pléthores d’établissements hospitaliers tous plus réputés les uns que les autres. Autre motif de renâclement, j’aimerais qu’un vrai médecin justifie son choix et m’explique pourquoi tel établissement plutôt que tel autre et surtout qu’il me précise le service dans lequel je serais admis et la raison pour laquelle il pense que je dois y aller. Jusqu’à présent, je ne sais toujours pas ce que j’ai eu et pas un seul médecin ou pseudo médecin n’a été fichu de me parler franchement pour me dire ce qu’il suspectait. J’étais dans une expectative totale, je me posais mille questions et notamment :
Y avait-il un risque pour que je perde la vue d’un œil ?
Le problème était il d’ordre neuromusculaire ?
Est-ce que je resterais avec un œil qui dit "merde" à l’autre et le regard en coin ?
Est ce que je pourrais de nouveau pratiquer le tir à l’arc ?
Quelles conséquences y aurait-il sur mon travail, est ce que je pourrais continuer à travailler sur écran ?
Sans information, on se fait du cinéma et avec ma tendance naturelle à envisager toutes les possibilités, je virais carrément au péplum. Une grande partie de la matinée fut consacrée à des échanges plus ou moins acerbes avec les blouses blanches. Je tenais ferme, je voulais connaître les raisons de leur choix et je ne souhaitais pas être ----- dirigé vers un hôpital sans en connaître les motivations profondes. C’est au cours de cette matinée qu’un médecin fit pression sur mon épouse pour que ce soit elle qui me décide à accepter le transfert, sinon St Antoine envisageait tout simplement un placement d’office !!!
Sur la base de ce que ma femme lui raconta, mon médecin traitant, lui dit qu’il pensait à un éventuel problème neurologique et que Suresnes était un bon établissement avec un service spécialisé dans lequel je serais de toutes façons mieux traité qu’à St Antoine. Finalement c’est ce qui m’aida à prendre une décision : tout serait mieux que St Antoine. Le plus urgent était de sortir de cet enfer sur terre.
Ma décision prise, je fis mon maigre balluchon pour être prêt à partir sur le champ puisque normalement tout était organisé pour mon transfert. Las, c’était sans compter avec les diverses tracasseries administratives du lieu. Pour commencer, on me priva de déjeuner, administrativement j’étais déjà dehors pour eux et donc avec une efficacité redoutable on avait rayé des listes de distribution mon nom.
Ensuite lorsque je demandais à récupérer mes effets personnel, on me répondit de ne pas m inquiéter, que tout suivrait automatiquement. N’ayant guère confiance dans la réponse fournie, j’allais m’enquérir auprès d’une autre personne du devenir de mes effets - clés d’appartement, cartes bleues, menue monnaie, tickets restaurant, entre autres - on me fit la même réponse, à savoir que tout était organisé et que ça me suivrait. Dans le nouvel hôpital. Je crois bien avoir posé la question à tout le personnel présent à l’étage ce jour là et la constance de leurs réponses me fit penser qu’au moins sur cet aspect il y avait un semblant d’efficacité. Je m’en ouvrais à l’ambulancier lorsque fut venu le temps des rires et des chants, dans l’île aux enfants c’est tous les jours le printemps. Oups, je me trompe de registre. Reprenons, je m’en ouvrais donc à l’ambulancier lorsque fut venu le temps - once more time ? - du transfert vers le digne hôpital Foch à Suresnes.
« Suresnes commune de l’ouest parisien sur la rive gauche de la seine était connue depuis le 9e siècle pour ses vignes et son vin. En 1709, suite à un hiver rigoureux les ceps furent remplacés par des pieds de moindre qualité et le vin de Suresnes tomba en désaffection. Au 19e siècle, on rapporte que Joséphine venait y prendre des bains de raisins en fermentation pour y soigner ses douleurs. -----
Sa devise est : Nul ne sort de Suresnes, qui souvent n’y revienne. »
Je ne connaissais pas cette devise à l’époque et pourtant aujourd’hui elle se vérifie chaque jour puisque Suresnes et devenu depuis quelques mois mon nouveau lieu de travail.
L’ambulancier, manifestement payé à la pièce transporté me dit lui aussi que tout était organisé et que je n’avais pas à m’en faire.
Ambulancier, quel beau métier que celui de taxi sanitaire car finalement les sociétés d’ambulances privées ne sont ni plus ni moins que des taxis à usage médical chargés de vous transporter d’un point A à un point B. Les cliniques et hôpitaux étant pour eux ce que sont les gares et les aéroports aux taxis : des passerelles de chargement et de déchargement de fret humain.
L’ambulancier est un animal social, il va souvent par deux ou en couple (mari et femme), il peut avoir un bureau avec réceptionniste qui se charge de prendre les appels et les rendez-vous. Il peut aussi et c’est souvent le cas, traiter toutes ses affaires directement dans son ambulance avec son ou sa copilote qui est alors chargé de la tenue du standard téléphonique en même temps que de la comptabilité, des tâches administratives et ménagères et plus si affinités. Dans le cas d’un couple, la frontière entre travail et vie personnelle n’existe plus et toutes les affaires se traitent au fil de l’eau dans l’ambureaulance.
J’eus la chance exceptionnelle d’être ambulé par le cas précité avec monsieur à la manœuvre et madame à l’administratif. Ambulanceman’ râlait auprès de sa matrone pour avoir accepté de me prendre en charge.
Tu as vu l’heure ? On va se retrouver en pleine circulation du côté de la défense, une vraie galère.
Cette course on devait la faire ce matin, c’est encore St Antoine qui a déconné.
Il va falloir arrêter de bosser avec eux, c’est pas la première fois qu’ils font le coup.
Un appel à la radio de bord annonce une demande d’ambulance pour je ne sais plus trop où. Ambulanceboss devient soudainement plus excité qu’un jouvenceau se faisant déniaisé par une professionnelle et se met quasiment à hurler.
Bordel, vite appelle Bernard il faut qu’on la choppe celle-là, allez magne toi, réserve et dis que ----- quelqu’un de chez nous arrive, allez, allez.
Il est déjà en mains Bernard et il ne répond pas sur son portable.
Il commence à me gonfler celui-là, à quoi ça sert que je lui paye un forfait si on peut pas le joindre. Ça nous coûte une fortune, faut que tu regardes ça et voir qui il appelle. On est ses patrons faudrait pas qu’il l’oublie. C’est facile pour lui, ’n’a qu’à attendre et se la couler douce. Ça va changer, c’est moi qui t’le dis. Alors il répond ?
Non, ni à la radio ni sur le portable, il doit être à l’hôpital en train de charger.
Et alors ? Il doit toujours avoir son portable lui, je m’en fous qu’il charge ou pas.
Tu sais bien qu’à l’intérieur on doit couper normalement.
Mais je m’en fous, on bosse nous, on bosse.
De toute manière c’est trop tard, c’est les ambulances privées du sud qui ont décroché l’affaire.
Quoi ? Encore eux ? Y en a marre qu’ils viennent chasser sur MON territoire. Y peuvent pas rester dans le sud ? Hein ? J’vais y aller, moi dans le sud, on va voir si ça leur plait.
Calme-toi, ça ne sert à rien. Ils sont trop gros pour nous. L’autre jour à la réunion de secteur, ils étaient là. Y paraît qu’y z’ont plus de quarante ambulances maintenant et qu’ils peuvent tout faire. Ils sont même agréés pour les transports loisirs des handicapés. Ils ont deux voitures équipées.
C’est qui ces mecs, tu les connais ?
Il parait que c’est deux anciens pompiers à la retraite qui ont fondé la société.
Ah ben voilà ! M’étonne plus maintenant, y sont maqués avec les rouges et tutti frottis.
Quanti.
Quoi ?
On dit tutti quanti.
Non ça c’est un vin d’Italie, le Quianti.
Tu es sûr ?
Hé ! Tu me prends pour qui, ou bien ?
T’énerve pas, c’est pas bon pour ton cœur.
J’m’énerve pas, y a rien qui va aujourd’hui, c’est tout ! Regarde moi cette circulation de merde, c’est bloqué de partout et j’peux même pas mettre un coup de sirène. Je vais passer par la porte de Bagnolet et prendre le périph’ on ira plus vite.
« Petite leçon de géographie Parisienne :
St Antoine est grosso modo situé dans le quart sud-est de Paris et Suresnes vers l’ouest, nord ouest. Pour faire le trajet il aurait paru logique de se diriger donc plein ouest en empruntant les quais vers Jussieu ou la rue de Rivoli par exemple. Au lieu de cela, le roi du convoyage de civière s’embraqua Nord-est donc complètement à l’opposé. D’accord la terre est ronde et fatalement à un moment donné Suresnes aurait été en vue. C’est un peu le pari inverse qu’avaient fait les conquistadors à leur époque en mettant cap à l’ouest pour se rendre aux Indes. Le voyage s’annonçait des plus réjouissants. »
Porte de Bercy, pourquoi pas finalement. Roulez jeunesse, bouchonnez vieillesse. Il fallait s’y attendre, le périphérique et la porte de Bagnolet étaient plus encombrées que les bronches d’un tuberculeux. On finit par faire un détour par le bois de Vincennes pour revenir par la porte dorée, les boulevards des maréchaux, porte de Bercy, les quais rive droite direction gare de Lyon. Le tout en une petite heure environ alors que St Antoine, gare de Lyon c’est distant d’un petit kilomètre tout au plus en faisant des détours. Finalement on commençait à rouler vers l’ouest, quand arrivé à la hauteur du pont d’Austerlitz, un coup de volant rageur à gauche nous embarqua plein sud boulevard de l’hôpital direction place d’Italie.
Trois petits tours et l’ambulance enquille le boulevard Blanqui, grande descente tel Orphée aux enfers puis ascension jusqu’au lion de Belfort pour bifurquer une nouvelle fois vers le sud et la porte d’Orléans et prendre le périphérique intérieur qui roulait un peu mieux que lorsque nous l’avions quitté. Cela ne convenait toujours pas à ambulanceman’ qui continuait de s’exciter de d’invectiver à qui mieux mieux tout ce qui passait à sa portée. Porte de Versailles, l’ambulance prit la direction du nord pour s’engouffrer une fois de plus dans la circulation parisienne vers convention, maison de la radio pour filer sur étoile et redescendre l’avenue de la grande armée pour prendre le bois de Boulogne via la porte maillot. Nous y étions presque, une fois dans le bois il ne restait plus qu’à récupérer le pont de Suresnes et direction le Mont Valérien avant d’arriver à Foch. -----
" Le mont valérien culminant à cent soixante deux mètres d’altitude est l’autre curiosité de Suresnes, construit sur les ruines d’un monastère, reconvertit en caserne, il fut l’une des plus importantes usines de fabrication d’obus au cours de la guerre 14-18. Au cours de la seconde guerre le mont valérien était un haut lieu de la résistance, les allemands l’occupèrent et plus de mille prisonniers et otages y furent exécutés. Aujourd’hui le fort du mont Valérien abrite le 8e régiment de transmission et il est le centre national des écoutes téléphoniques, notre big brother à nous..."
Pendant le trajet, le chauffard d’ambulance continua de vitupérer et de pérorer pendant que sa digne épouse se débattait avec la radio, les téléphones et la paperasserie en se contentant d’émettre de temps à autre en direction de son nez pou :
T’énerve pas, c’est pas bon pour ton cœur.
La traversée du bois de Boulogne, dernière difficulté, avant Suresnes fut contrariée par un accident de la circulation. Les bleus et les rouges étaient sur place, mais aucune trace de blancs dans les parages. C’était une occasion inespérée pour lui de briller et de récupérer une course à bon compte. Il se détourna du droit chemin pour aller s’enquérir auprès de la maréchaussée de la gravité de l’accident et bien sûr pour proposer ses services si nécessaire.
Je dépose un colis à Foch et dans 10 minutes je suis de retour conclut-il.
Demi-tour rapide, sirène hurlante et gyrophares allumés, l’ambulancier prit résolument et rapidement la route de ma délivrance.
Ils ne vont pas t’attendre, assurait pourtant sa femme, exprimant par là, la voix de la sagesse.
Si, si, y a pas d’urgence vitale, les pompiers vont stabiliser le cycliste pendant que les flics font le constat et ils me le confieront pour l’amener à l’hôpital. Il me l’a dit le bleu.
Et le temps qu’on fasse les formalités pour monsieur derrière, tu y as pensé ?
Je te dépose avec lui et je reviens ensuite avec le cycliste.
Et s’ils l’envoient ailleurs ?
Aucun risque pour ça, c’est ici le plus proche. On arrive, go, go, go !
La sirène se tait dans un couinement de vierge effarouchée, l’ambulance est à peine stoppée que dame patronnesse (la femme du patron) la main sur la poignée de porte avant saute dans la cour pavée, ouvre à la volée le haillon de déchargement pour sortir icelui en hayons (votre serviteur, en l’occurrence) en deux temps, un mouvement (trois auraient pris trop de temps) et hop me voilà proprement éjecté. Un petit coup de fesse sur la porte arrière, dénotant une grande dextérité popotine, celle-ci en claquant donna le top départ de la nouvelle course. Dans une gerbe de graviers, sur la cour pavée, l’ambulance fit volte face et prit sans plus traîner le chemin de l’accident toutes sirènes hurlantes.
J’étais enfin arrivé à destination.