Pendant mes divagations féeriques, la chose qui m’avait pris en charge venait d’accoupler mon brancard à la machine infernale dont je n’apercevais encore rien puisque allongé sur le dos. La chose, j’avais décidé de la nommer ainsi car cela m’évitait de trop penser à ce qu’elle était réellement. La chose, donc me donnait les dernières consignes, qui elles mêmes n’ont rien à voir avec les volontés car comme chacun le sait ou ne le sait pas (je m’en fiche un peu, à vrai dire), les volontés sont les dernières qu’on signe. Mais une fois de plus je m’égare (au gorille), reprenons un peu le déroulement des opérations. La chose me parlait et je n’écoutais guère son blabla insipide, la seule chose que je retenais était que j’allais passer environ 20 minutes dans un tunnel et que je ne devais pas bouger. D’ailleurs pour m’éviter tout velléité de le faire, elle me ceint le front d’une sangle pour m’immobiliser la tête. Un instant j’ai même cru que la chose allait me livrer pieds et poings liés à la machine infernale pour que celle-ci me digère lentement tout à son aise. Mais non, au contraire, ses gestes étaient empreints de douceur, et elle s’enquit de savoir si je n’étais pas trop serré. Je la trouvais trop polie pour être honnête et sa soudaine gentillesse eut le don de me hérisser le poil, au point que je me demandais si l’IRM était aussi indolore qu’on voulait bien le dire. Il était trop tard pour en débattre, juste avant de m’enfourner comme une pizza dans le four à pain, elle me collât dans la main une sorte de poire à lavement en précisant :
Si ça ne va pas, serrez la poire et on viendra vous chercher immédiatement.
Je marmonnais une vague réponse qui s’apparentait plus au gémissement d’un lapin s’accouplant avec un hérisson en s’apercevant de sa méprise fatale :
Ieurkkkk
Cela parût lui suffire et elle le prit comme un accord de ma part car sans plus hésiter elle fit coulisser le brancard dans un bruit d’enfer dans la gueule béante de la machine.
Ma perception de l’environnement venait de changer brutalement. Je frissonnais et un courant d’air glacé prit un malin plaisir à se glisser avec moi dans l’antre de la bête. J’eus la désagréable impression d’être une balle de fusil que l’on faisait monter dans la culasse avant d’appuyer sur la gâchette. Tout, autour de moi, venait de prendre une nouvelle dimension, je me retrouvais prisonnier d’un improbable sous-marin. Impression de confinement, bruits assourdis, ambiance métallique. Bruits ?
Clang, clang, puis un bourdonnement, des roues crantées qui se déplacent, des coups de marteau répétés sur la paroi. Et cette chanson débile de Claude François qui me revient à l’esprit :
Il faisait "Zip" quand il roulait,
"Bap" quand il tournait
"Brrr" quand il marchait
Je ne sais pas ce que c’était
Et je crois que je ne le saurai jamais
C’était tout à fait ça le raffut de machine pas « finie » que j’entendais. Pas vraiment au point leur engin, s’ils sont obligés de le bricoler pendant que ça fonctionne, me dis-je. C’est bien ma veine, il faut que ça tombe sur moi, je parie que dans 5 minutes ils me sortent de là en s’excusant pour une panne indépendante de leur volonté.
...
J’ai du m’assoupir quelques minutes, je ne sais plus, finalement l’examen se déroula comme il devait le faire, je suppose.
C’est terminé monsieur, ça va ?
Uh ! Répondis-je avec un sens de l’à propos extraordinaire.
Cela fut (de chêne, another time) interprété comme un oui franc et massif, genre 80% des voix au second tour, car elle poursuivit :
C’était pas bien méchant, n’est-ce pas ?
Uh ! répliquai-je, histoire de lui donner l’impression de ne pas monologuer avec un suisse et surtout pour éviter qu’elle ne me catalogue, chose que je redoute plus que tout.
On va vous remonter bientôt, je vais vous faire patienter dans le couloir.
Ce n’est pas parce que ma montre « Ferrari » est une montre suisse (comme les trois sus-nommés précédemment) qu’elle doit me considérer comme un vulgaire coucou que l’on remonte.
Ma montre, je peux récupérer ma montre ?
Ha oui, vous avez raison, ne bougez pas je reviens.
Ne bougez pas, ils n’ont que ce mot là, à la bouche dans le coin, comme si allongé complètement débraillé sur un brancard j’allais tenter une promenade dans un parc avoisinant. De plus avec une vision multi-stéréoscopique, que croit-elle que je sois capable de faire ? Hein ?
Je vous le demande. Et puis bouger pour rencontrer d’autres monstres en goguette, ne me parait pas du tout une bonne idée, mais alors là pas du tout. Toutefois afin de ne pas la vexer plus que nécessaire, je décidais de me tenir coi et tel un moine bouddhiste, j’adoptais une posture Zen à faire pâlir d’envie une statue de bronze. D’ailleurs, cela me fut salutaire, car déjà elle revenait, ses ergots calleux claquant sur le carrelage froid me firent reprendre pied dans la réalité qui était la mienne.
C’est bien, vous n’avez pas bougé me dit-elle. Voilà vos effets personnels.
J’avais bien envie de lui rétorquer, voire même de lui répondre tout court, pour finalement choisir de me taire, car elle détenait encore en ses nombreuses mains mes trésors. Je m’empressais donc de tout lui reprendre avidement, évidement, avant d’ouvrir la bouche pour lui cracher un merci méprisant afin de bien lui montrer qui était le boss ici ! Encore une fois je présumais de mes capacités et je dus m’y mettre à trois mains droites pour arriver à enfiler mes montres à mes poignets gauches. Quant à mon alliance, ce fut carrément mission impossible et le dragon en chef dut me venir en aide pour me passer la bague au doigt. Intérieurement terrorisé, j’ai crains un instant qu’elle ne me demande de lui dire OUI. Mais non, rien de tout cela, au contraire. Elle se contenta de me venir en aide ? encore une fois mon imagination avait pris le contrôle de la situation et ma vision brouillée des choses ne m’aidait pas à y voir clair. C’est le moins que l’on puisse dire.
Le brancardier arrive, il va vous reconduire aux urgences et on vous apportera les résultats.
Merci, couinais-je vaguement. Trop heureux de m’en tirer à si bon compte (en Suisse, pour ceux qui ont suivi).
A ce sujet, une histoire passionnante qui m’était arrivé il y a fort longtemps puisque je n’avais pas encore mes vingt printemps, me revint à l’esprit. Cela devait être du à l’IRM qui venait de réactiver mes fonctions mémorielles. Donc, j’étais en vacances au Pays-Bas et ...
Aparté
Laissez moi terminer mon histoire SVP, car je vous vois venir et vous allez me demander, mais quel rapport entre le pays du chocolat et l’autre pays du fromage ? Vous le saurez bientôt, si vous cessez de m’interrompre à tout bout de champs. Je suis suffisamment dans les choux pour que vous ne veniez pas en rajouter avec vos questions. Je me permets de vous rappeler que c’est mon histoire et que je raconte comme je veux !
Fin de l’aparté...