Sans perdre une minute je suis chargé dans l’ascenseur qui grimpe bringuebalant en grinçant au 4e étage, en neurologie. Brancardé à la va comme je te pousse par dame brancardière qui me colle dans le couloir sans demander son reste et file vers la salle des infirmières pour y déposer mon dossier. Une fois chose faite, elle repartit presque courant le portable vissé à l’oreille parée à toute éventualité.
Dix secondes après sa fuite échevelée, une blouse blanche sortit dans le couloir l’air exaspéré par la manière fort cavalière. Dont s’était comportée brancard’ girl. M’apercevant alors dans le couloir, elle s’approcha de moi le nez pincé quelque peu dégoutée, me sembla t’il, par l’odeur qui se dégageait de ma personne.
Vous v’nez d’où, vous ?
’toine bredouillé-je
Hein ?
St Antoine articulé-je distinctement cette fois-ci.
Ha ! C’est vous ? On ne vous attendait plus, vous auriez du arriver en début d’après midi.
ça roulait mal, on est parti vers 14h.
Plus de 3 heures pour venir, vous avez fait la tournée des poubelles avant de venir ou quoi ? Dit-elle en se pinçant de nouveau le nez. (Qu’elle avait fort joli d’ailleurs)
Ne sachant quoi lui répondre et devant mon air désemparé, elle se fendit d’un sourire radieux.
Je plaisante voyons, bon je vais vous mettre où maintenant que vous êtes là ?
S’emparant des poignées du brancard, The Infirmière in Chief héla une comparse pour qu’elle vienne l’aider.
Voilà, c’est tout ce qu’il me reste me dit-elle en arrivant devant la chambre.
Avec un geste théâtral, elle ouvrit la porte et me fit découvrir ce qui passait à mon œil en cet instant pour être une suite royale dans un palace grand luxe.
Chambre individuelle
Climatisation
Cabinet de toilette privé
Télévision
Lit à baldaquin (enfin presque)
Est ce que vous pouvez descendre seul du brancard ?
Oui, ça devrait aller.
Malgré ma réponse positive, les deux infirmières m’aidèrent à me lever et elles m’accompagnèrent au lit.
Installez-vous tranquillement, on fera les formalités plus tard.
Sur ces paroles elles quittèrent la chambre me laissant seul pour reprendre mes esprits. -----
Quel changement par rapport à St Antoine, ici à peine arrivé j’étais traité avec égard et respect. La chambre était très propre et n’avait pas cette odeur caractéristique d’hôpital. Deux coups frappés à la porte et quelques secondes plus tard une nouvelle infirmière entra en se présentant.
Bonjour Monsieur, je m’appelle Sandra je vous apporte de quoi faire votre toilette et vous changer. Vous en avez besoin, on dirait.
En continuant de me parler, elle ouvrit la porte du cabinet de toilette pour y mettre un drap de bain, du savon liquide, une brosse à dent avec dentifrice. Elle installa un siège au centre de la douche pour que je puisse me doucher assis sans risque de tomber.
Si vous avez besoin de quelque chose, la sonnette est là, n’hésitez pas. Je referme la porte, je vous laisse tranquille. Je repasserais tout à l’heure pour le dîner. Avez-vous prévenu votre femme ?
Signe de dénégation de ma part, j’avais complètement oublié de lui dire que j’étais arrivé.
Donnez-moi le numéro de téléphone, on va la prévenir et la rassurer.
Changement de décor, changement de traitement, je venais de quitter l’enfer pour le paradis. Avec une énergie retrouvée et un moral qui faisait la concurrence aux poussées de mercure de ce début Juillet, je commençais à envisager l’avenir d’un autre œil. Façon de parler puisque je ne disposais pour l’instant que d’un seul œil opérationnel. La première étape de ce renouveau passait une bonne douche décrassante et revigorante. Je restais assis de longues minutes sous la douche pour profiter pleinement de ses bienfaits. L’infirmière vint me voir plusieurs fois pour me demander à travers la porte si tout allait bien. Enfin propre comme un sou neuf, débarrassé de ma crasse et d’une grande partie de mes angoisses, j’enfilais la blouse d’hôpital et je m’installais confortablement dans le lit et j’en profitais pour passer un coup de fil chez moi afin de donner de mes nouvelles. L’hôpital, ainsi que me l’avait dit l’infirmière, avait déjà prévenu et ma femme était rassurée de me savoir sorti de St Antoine. Une nouvelle infirmière, qui se présenta, elle aussi, vint s’enquérir de mes préférences ou contraintes alimentaires.
Avais-je des allergies alimentaires connues ?
Avais-je un régime hyposodé ?
Un régime spécial ?
Supportai-je les laitages ?
Thé, café ou chocolat le matin ?
Pain ou biscottes ?
Jus de fruit ?
Etc.
Elle me demanda ce que je voulais pour diner ce soir. J’avais le choix entre trois entrées différentes, deux plats, fromage et trois desserts. Il serait servi vers 19h30 et d’ici là j’avais le temps de remplir les formalités administratives d’admission si je voulais. Elle m’expliqua gentiment où se trouvait l’accueil et comment faire pour m’y rendre. Toutefois me précisa-t-elle, si je ne me sentais pas capable de le faire ce soir, ça ne posait aucun problème. N’ayant rien de mieux à faire et ragaillardi par la douche, je décidai de me défaire de toutes les formalités au plus vite. Télévision, téléphone, accès internet tout était possible, il suffisait de demander et accessoirement de payer bien entendu, mais au moins l’hôpital offrait un certain nombre de services de confort du niveau de beaucoup d’hôtels. Et toujours avec gentillesse et amabilité. La plupart des informations me concernant avaient déjà été saisies dans leur système informatique et il s’agissait essentiellement de vérifier et valider celles-ci avec moi, voire de compléter ce qui manquait. On m’expliqua clairement ce qui serait pris en charge et ce qui resterait à la mienne. En une petite demie heure tout fut expédié ou presque.
Presque, car une chose essentielle manquait à l’appel. Cartes bleues, clés, argent et autres valeurs étaient restés à St Antoine et vu l’heure on ne pourrait s’occuper du problème que le lendemain. Le service des admissions me conseilla de voir ça directement avec l’infirmière en chef du service qui se chargerait de régler le problème. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait et ils avaient l’habitude dans les services de s’en occuper. Dépité mais confiant malgré tout, je regagnais ma chambre. Au passage j’exposais mon problème à l’infirmière en chef, celle au joli nez, qui m’assura à son tour qu’elle ferait le nécessaire dès demain matin. Ce genre de petit désagrément était monnaie courante, un coup fil à St Antoine devrait tout faire rentrer rapidement dans l’ordre.
L’heure du dîner approchait à grand pas et pour la première fois depuis trois jours j’abordais ce moment sans appréhension. La personne chargée des repas, tout aussi aimable et affable que le reste du personnel frappa à la porte de la chambre avant d’entrer, elle se présenta et m’appela par mon nom. Toutes ces petites attentions dénotaient du soin qui était apporté à la reconnaissance d’une certaine dignité. Le contraste était plus que saisissant entre les deux hôpitaux qui étaient aux antipodes l’un de l’autre dans leurs manières d’aborder les patients. -----
Avoir le moral, le retrouver, le conserver contribue pour une grande part au rétablissement d’un malade. Ce précepte était complètement intégré à Foch et chaque malade était avant tout traité avec respect et n’était pas seulement un cas de plus. Vous me direz que la situation est totalement différente et qu’à St Antoine les patients traités n’avaient rien à voir avec ceux de Foch, oui, peut être... Sans doute que les types de patients traités dans chacun des deux établissements sont complètement différents et que St Antoine accueille une population plus "difficile", mais ce n’est une raison suffisante pour avoir un comportement aussi inhumain et aussi violent. A St Antoine, l’agressivité et la violence étaient omniprésentes tout autant chez les patients que chez le personnel de l’hôpital.
Le repas qui me fut servi était tout à fait acceptable et les aliments avaient le gout de ce qu’ils paraissaient être même si cela restait malgré tout de la restauration d’hôpital. Une fois ripailles achevées je reçus la visite d’un interne qui avait eu le soin de prendre connaissance de mon dossier avant de venir me voir. Il était accompagné du trio Esperanza, ainsi avais-je surnommé les trois infirmières du service qui étaient présentes. J’eu le droit aux examens classiques - Tension, fréquence cardiaque, température, saturation du sang en oxygène, taux de sucre, prise de sang pour analyse - l’interne me refit faire aussi tous les tests de base en neurologie - équilibre, reflexe genoux et coudes, réponses aux stimuli sous la plante des pieds, les jambes et les bras, orientation et latéralisation en me faisant toucher le nez avec les mains droite puis gauche - puis ensuite une série de question pour vérifier mon état de conscience et de compréhension - nom, prénom, âge, date de naissance, date du jour, nom du jour, plus tout un tas de questions sur ce qui m’était arrivé, comment ça s’était produit, où et quand. Il m interrogea aussi sur les quinze vingt et St Antoine - il me posa des questions sur mes antécédents médicaux, accidents, maladies, traitements en cours. Est-ce que je savais s’il y avait des problèmes de santé dans ma famille qui pourraient avoir des conséquences. Enfin et pour finir il me fit faire tous les tests de mouvements avec les yeux en me demandant de décrire le plus précisément ce que je ressentais et comment je voyais. De son côté il m’expliqua clairement la raison de toutes ces questions et de cette batterie de tests. Le diagnostic de l’Avc n’était pas clairement établi, les examens des jours suivants permettraient d’en savoir plus. -----
La piste d’une infection bactérienne était aussi possible et une ponction lombaire serait certainement nécessaire mais avant on allait de nouveau me faire un IRM et le chef de service passerait demain matin pour m’ausculter et prescrire les examens complémentaires. En dehors de mon œil, toutes mes fonctions neurologiques étaient normales par ailleurs et si je devais prendre mon état au sérieux, il n’y avait pas non plus péril en la demeure. Il était près de 21h, la visite avait duré plus d’une heure, j’avais réellement l’impression d’être sérieusement pris en charge. Sérieusement et qui plus aimablement, ce qui était véritablement un plus indéniable. À 22h lors du changement de service, le trio Esperanza passa dire au revoir et un quatuor cette fois-ci prit sa place pour la nuit, Anne était chargée de s’occuper de moi, elle me prévint qu’elle passerait à une heure, à quatre heures puis à sept pour vérifier mes constantes. Si j’avais besoin de quoi que ce soit, je n’avais qu’à sonner cette nuit. Je me rendis à peine compte de ses visites nocturnes, tant elle fit attention à me déranger le moins possible. Pas de lumières brutalement allumées, pas de porte qui claque, pas de bruits intempestifs, rien de tout ça. Je sentis à peine le tensiomètre sur mon bras tout comme le reste. Je ne sais pas si ces méthodes étaient spécifiques au service de neurologie ou appliquée à tout l’hôpital, mais en tout cas, la prise en charge des patients étaient très respectueuse de l’humain. Rien à voir avec ce que j’avais pu vivre pendant deux jours à St Antoine.
Vendredi matin.
Nouvelle rotation de personnel, petit déjeuner avec du vrai café et le sourire. Passage des techniciennes de surface, toutes aussi aimables et agréables que le personnel soignant. Visite du chef de service accompagné de l’interne et d’étudiants en médecine. J’eu droit à la panoplie, désormais habituelle, d’examens. Le médecin prescrivit comme prévu des examens complémentaires : deux IRM, dont un avec injection de produit de contraste, échocardiogramme, analyses de sang diverses et ponction lombaire. D’autre part, il me conseilla de mettre mon cache sur mon œil droit, afin de faire travailler mon œil gauche pour que celui-ci retrouve toute sa mobilité. Nous étions vendredi matin, les deux IRM étaient programmés pour l’après midi, les analyses de sang seraient effectuées par le laboratoire durant le week-end. L’échocardiogramme et la ponction lombaires seraient effectués, quant à eux, le mercredi ou jeudi suivant.
Il était presque 11 heures quand je pus enfin me rendre dans le bureau des infirmières et demander si, elles avaient des nouvelles de St Antoine au sujet de mes effets personnels.