Deux heures de vol, une demi-heure de taxi sous une fine pluie bretonne ; me revoilà à la maison après quelque temps passé à Ibiza. Rien n’a changé durant mon absence si ce n’est que le téléphone-fax clignote ; j’appuie sur la touche du répondeur.
Jean-Claude ? C’est Yvon. J’ai essayé de te joindre à Ibiza mais tu étais déjà parti pour l’aéroport. J’espère que ton voyage s’est bien passé. J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer : Gérard Le Maguer, est mort en début de semaine, crise cardiaque à ce que l’on m’a dit. Je suis allé à l’enterrement ; c’était hier, à Brest. Encore une page de notre enfance qui se tourne. Rappelle-moi à ton arrivée. Bonne soirée frangin !
Merde ! Gérard, un copain d’école que je n’avais pas vu depuis vingt ans. J’avais repris contact avec lui peu de temps avant mon départ et nous avions convenu de nous rencontrer dès mon retour. Trop tard ! Je pense bien sûr à lui mais aussi à son épouse, que je ne connais pas, et qui doit se sentir complètement perdue. J’ai traversé ce genre de situation voila quelques années et je sais ce que l’on éprouve durant les jours qui suivent ce genre de catastrophe.
Je l’appellerai dès que possible pour lui présenter mes condoléances et surtout pour essayer de la réconforter un tant soit peu. Je consulte ma montre, il est 17 heures ; pourquoi ne pas lui passer un coup de fil maintenant, pendant que j’y pense.
N’ayant pas son numéro, je consulte l’annuaire : Brest… nous y voila, Le Maguer, Alphonse, Bernard, Charles, Gérard ! OK, il n’y a qu’un Gérard, je m’en tire bien ! Je note puis compose le numéro-
Sonneries puis répondeur : Votre correspondant étant pour l’instant indisponible… etc. veuillez parler après le bip sonore. Ce que je fais.
Bonjour Madame ! Nous ne nous sommes jamais rencontrés ; je suis Jean-Claude, un ami d’enfance de Gérard. Je rentre de voyage et j’ai appris avec tristesse le malheur qui vous frappe. Je sais par expérience que dans ces douloureuses circonstances les mots n’ont pas grande signification mais je voulais quand même vous témoigner toute ma sympathie. Je n’oublierai pas Gérard. Sachez que je suis de tout cœur avec vous. Bon courage chère Madame.
Après avoir raccroché, je réalise que j’aurais dû la rappeler plus tard au lieu de lui laisser un message sur répondeur. Tant pis, c’est fait ; rien ne m’empêchera de la contacter dans les jours qui viennent.
Tout en songeant que nous sommes bien peu de chose sur cette terre, litanie habituelle, je défais ma valise et vaque aux différentes opérations que nécessite un retour au bercail après une absence prolongée.
A 19 heures le téléphone sonne. Je décroche. C’est un homme.
Bonsoir, vous avez appelé mon épouse dans l’après-midi et j’aimerai avoir quelques explications.
Je tombe de haut, de très, très haut.
Pardon ? J’ai appelé votre épouse ? Je pense, cher monsieur, qu’il doit y avoir méprise. Je n’ai appelé personne d’autant que je viens de rentrer de voyage, justement cet après-midi.
Ecoutez, me dit mon correspondant, si c’est une plaisanterie elle est de très mauvais goût ! Je m’appelle Gérard Le Mager et je viens de trouver sur mon répondeur un message de condoléances adressé à ma femme et concernant mon décès.
Le ciel me serait tombé sur la tête que ça n’aurait pas été pire. La gaffe du siècle !
Je restai muet un long moment, le temps de comprendre que je m’étais trompé de nom en consultant l’annuaire : Le Mager au lieu de Le Maguer.
J’expliquais tant bien que mal à Gérard Le Mager ce qui avait du se passer, lui présentant toutes mes excuses et ne sachant comment me faire pardonner.
Ce dernier, comprenant que j’étais vraiment de bonne foi, me confia que sa femme, n’étant pas encore rentrée de son travail, n’avait donc pas reçu, et ne recevrait jamais, mes condoléances, son premier souci ayant été d’effacer mon message. Pour conclure, il me conseilla gentiment de changer de lunettes, ce que fis peu de temps après. Depuis je consulte l’annuaire avec beaucoup plus de précautions.
Quelques jours plus tard j’ai enfin pu joindre l’épouse de mon ami décédé, mais en direct et non pas par répondeur interposé.
Mars 2009