La porte claque. Il se renfonce dans sa veste, fixe sur sa tête une casquette noire d’où dépasse une longue queue de cheval châtain clair, et se met en route. Le sol gelé craque et proteste sous ses grands pas, des pas d’adolescent de presque deux mètres de haut. Vite, il faut se dépêcher, il a encore beaucoup à faire, il lui manque des cadeaux. Il dresse mentalement la liste de ce qu’il a à acheter, et perd son regard dans l’air froid, dans le ciel bleu.
Elle soupire et découpe un deuxième poivron. Encore trois. Et la viande. Et le reste. Les casseroles lui font monter la sueur au front, l’étouffant d’odeurs de nourriture, de vapeur d’eau, du bruit de ses enfants dans la pièce d’à côté, de la perspective de ce souper de famille auquel la tradition oblige. Elle laisse brusquement tomber le couteau et ouvre la fenêtre à bascule, laissant son regard glisser sur la nuit étoilée.
Ils s’enlacent, avec la douceur que seul l’âge confère à nos mouvements. Leurs peaux ridées, parcheminées de larmes et de joies, se touchent avec délicatesse, comme hésitantes, et leurs mains s’entrelacent. Pas d’érotisme, non, pas ce soir, pas de ce feu énorme qui brûle dans le cœur des jeunes gens, plus que des braises, ces braises dont on dit qu’elles sont plus ardentes qu’un feu bien nourri. Plus qu’une oasis de bonheur serein, près des photos des petits enfants, à côté du sapin.
Il caresse les cadeaux d’un air impatient, comme essayant de deviner la forme de l’objet contenu à travers l’emballage. Mon lapin ! dit sa mère, viens, viens dire bonjour à Mamy, à Tata Adolphine, à Mémé, à Papy… Il abandonne comme à regret ses hypothèses délicieuses pour faire le beau.
Ils marchent sur la route, vite, le dessert a été oublié, il faut aller voir le glacier ; les étoiles accompagnent leurs pas, et ils sourient. Ils sourient.
Elle trébuche sous un sac empli de cadeaux, maudit ces gosses aux exigences inimaginables. Société de consommation !
Il dresse le sapin, laisse une boule lui échapper. Ouf, elle n’est pas cassée.
Ils discutent autour de la table, de politique et la mère crie qu’on ne se dispute pas un jour pareil. Elles chantent une polyphonie ancienne parlant de Rois Mages et d’Etoile miraculeuse, dans l’église illuminée. Il est assis tout seul dehors sous un pont, et trinque à la santé de son bienfaiteur du soir. Elle écrit une carte. Il tape un mail, elle referme le clavier de son ordinateur, il rigole à table, elle découpe sa viande, ils se retrouvent après 10 ans de disputes, il regarde les étoiles…
Assise à ma fenêtre, je rêve à un Noël Blanc.