Hello ! Cmt va ?
Les lettres s’alignent sur l’écran, fusent en un vif trait rouge. Clic, enter. Un sourire s’étire sur les lèvres de l’homme, elle est là, il est l’heure. C’était juste le bon moment, celui où sa femme était repartie au travail, et avec elle le regard méprisant de ses yeux sombres, à peine masqués sous une large frange de cheveux bruns. Autrefois, il avait été séduit par ces mèches folles qui balayaient son front lisse. Il avait imaginé leur caresse sur la peau de la jeune femme, il avait rêvé de dégager ses yeux d’une main tendre, et dans les profondeurs de ses yeux, il aurait lu de l’amour, jusqu’au tréfonds de son âme.
C’était avant.
Au début, bien sûr, tout allait bien ; mais de semaine en semaine, de mois en mois, d’années en années, le conte de fée s’était gâté, le ciel s’était terni des nuages de l’habitude. Emoussé, l’amour éternel, oubliés, les mots de sincérité, de passion, de manque. Juste des je t’aime, à ce soir, réflexe machinal, comme on branche le matin la machine à café. Je t’aime, à ce soir.
Puis, elle était arrivée.
Ils ne s’étaient jamais vus. Cela n’avait pas d’importance. Il ne connaissait pas son nom, elle ne savait pas le sien. Cela n’avait pas d’importance. Elle l’avait fait rire aux larmes avec les descriptions de son propre mariage raté, elle l’avait écouté, consolé avec la douceur et l’attention qu’il n’avait jamais trouvée chez sa femme. Elle lui avait confié la garde de ses propres secrets, ses déceptions, ses peurs, ses espoirs. Tout ça sans aucun sous entendu, évidemment.
Hé ho, tu rêves ?
Il sursauta au bruit strident, exigeant de l’ordinateur. Il posa les doigts sur le clavier, riant en son fort intérieur. Impatiente enfant, fascinante magicienne, douce fée. Elle lui avait donné les clefs de son âme... Peut être qu’il y avait perdu un peu de son cœur, finalement.
***
Un long frisson le parcourut. Le soleil éclaboussait l’automne de rayons d’or, mouchetant le soir d’une chaleur agréable ; excité comme un jeune adolescent, il ne s’en rendait même pas compte. Devant lui, sur la table, une rose tardive ; elle devrait porter la même, en signe de reconnaissance. Enfin.
Comment serait elle habillée ? A quoi ressemblerait elle ? Est ce qu’ils avaient bien fait, en fin de compte, de choisir de se rencontrer ? Une brève pensée de culpabilité l’effleura. Il avait profit de l’absence inespérée de sa femme, et il allait... Non, rien ne se passerait. Vraiment rien. Rien. Pourquoi en était il presque peiné ?
Il sursauta. Une rose à la main. Elle arrivait. C’était elle.
Il pouvait deviner d’ici le regard impatient de ses yeux sombres, balayés par une large frange de cheveux bruns...