Je l’aimais bien Julien. Il avait été heureux, autrefois, il me faisait rire, me remontait le moral. Nous allions à la pêche tous les deux. Une journée à discuter. A écouter le vent à regarder les nuages. Le poisson on s’en moquait Sur le coup de midi nous sortions les sandwiches et les bières. C’était alors une partie de franche rigolade. Lorsque la lumière du soleil tamisée par les nuages se faisait basse sur l’horizon nous remballions notre attirail, nous avions passé une bonne journée.
Il avait été heureux jusqu’au jour ou la Brigitte l’avait quitté. Ce lundi là, à la fin du repas de midi, j’e m’en rappelle comme si j’y avais été, elle s’était levée et lui avait simplement dit : « Julien, je m’en vais. » Lui avait répondu : « Tu reviens à quelle heure ? »
Elle l’avait regardé puis s’approchant de lui, l’avait embrassé sur le front. « Mon pauvre julien ! » avait-elle ajouté. Elle était partie.
Depuis il avait bien changé le Julien, on était restés amis bien sûr, mais il ne me parlait plus beaucoup. Tous les soirs je passais au bistrot. Il était attablé avec deux ou trois pochtrons et il s’enfilait bière sur bière. J’attendais au comptoir. Dès qu’il me voyait, il les chassait en tapant sur la table et me faisait signe de venir. Il commandait deux Picon bière. Je restais assis en face de lui, à siroter mon Picon. Je palpais son silence, il avait les larmes aux yeux. Il essayait bien de me dire quelque chose, mais les mots s’arrêtaient au goulot de sa bouteille. Je passais ainsi, tous les soirs près d’une heure avec lui. Puis je me levais et le saluais d’une tape sur l’épaule, en lui glissant un p’tit con va.
Je suis entré dans l’église en pleine cérémonie. Il n’y avait pas grand monde, sa vieille maman de quatre-vingt dix huit ans, qui n’avait plus sa tête à elle, sa sœur dont je sais qu’il ne l’avait pas vue depuis au moins vingt ans. J’étais là, un peu gêné. Moi, les églises ça me fait peur, je ne sais pas pourquoi, c’est froid, c’est top calme et puis tout à coup, quand on parle, ça résonne comme si on venait de déranger un dragon gardien de son antre.
Je m’avançais un peu, me glissait dans un banc, seul. Je voyais le cercueil sur son catafalque. C’est julien qui m’avait demandé d’être là à son enterrement, ce jour là, j’avais rigolé, je lui avais dit que si ça se trouve je serai mort avant lui. Mais il m’avait fait jurer.
Alors je suis là, lui aussi mais je ne le vois pas.
Je ne le vois pas mais je le devine allongé dans cette caisse. Je le revois quand il était heureux et tout à coup, je souris, je ne suis plus triste. Il m’a fait venir parce qu’il voulait que je rigole une dernière fois avec lui. Alors je commence à rire tout doucement puis un peu plus fort et les gens se retournent vers moi, et je ris de plus belle et le curé arrête de parler, tout ce petit monde me regarde.
Alors je comprends que Julien attend que je lui fasse un signe.
Je me lève, je reprends un peu mon sérieux et je crie :
« Et un p’tit con bière, Un ».
Je sors de l’église en pouffant de rire, tu vois Julien, on les a bien eus.
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Julien.
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Pourquoi les enterrements devraient-ils être tristes.
Je l’aimais bien, Julien. Il était mon meilleur ami et je crois bien que j’étais le seul qu’il possédait encore. Il est mort hier au soir, à soixante-sept ans, c’est jeune pour mourir. On l’enterre demain, déjà.