Le doux bruit du roulis des vagues sur la plage, le crissement du sable fin, le léger vent accompagné des embruns qui fait s’agiter doucement les quelques arbustes, une petite crique entourée de falaises, voilà le théâtre de ce meurtre.
Le soleil se meurt. Le ciel éclaboussé du sang du crime solaire s’éteint petit à petit.
Il est là. Il pense, les yeux perdus dans l’horizon, assis sur un rocher en granit rose surplombant la crique.
« Je n’aurais pas dû, pourtant je t’aimais Sophie. Tu m’as brisé le cœur… Que pouvais-je faire ? Je meurs de jour en jours depuis ce soir tragique. Mon cœur crie ton prénom à chaque battement. J’ai peur, aide-moi ! Viens près de moi sur ce rocher ! Je t’en prie, entend-moi ! »
Il n’a pas peur de Elle, la Mort, il observe sans angoisse le précipice qui l’écarte encore un peu de Elle et de Sophie.
Soudainement, l’homme se lève et fixe quelque chose dans le firmament, les étoiles commencent à éclore dans le beau drap noir de la nuit. Il tremble… et retombe sur le rocher.
Ses beaux yeux bleus retombent dans ses pensées, une larme, une seule coule lentement de son œil droit et se perd dans sa barbe naissante.
Le vent devient plus fort, ses longs cheveux s’agitent sauvagement tel une crinière léonine derrière sa tête, son vieux manteaux de cuir réduits en haillons se soulève et retombe au rythme des rafales.
Le crachin se lève ; il enfouit sa figure entre ses mains burinées.
« Te voilà, crachin du chagrin. Tu pleures comme je pleure... Mais qu’est-ce que je dis ? J’ai peur mais ai-je au moins le droit d’avoir peur ? Horreur de la nature que je suis, j’ai tué l’Amour, je t’ai tué mon amour, mon cœur est de marbre ! J’ai peur, j’ai mal !
Regarde moi Seigneur que vais-je devenir ? Oui, foudroie moi ! Sacrilège, je suis fou, me voilà à te donner des ordres … J’ai tenté de m’arracher le cœur, je me suis blessé mortellement, je me meurs Seigneur ! Pardonnez-moi, surtout toi Sophie, pardonne-moi..! Mais comment peut-on pardonner le pire des crimes ?! Ton visage déchire mes rêves, je ressens encore le frôlement de tes lèvres sur ma bouche, ton parfum. »
Il pleure, les larmes s’écoulent plus rapidement sur son visage ridé par les tortures de sa vie. Il se mord jusqu’au sang sa lèvre inférieur, vain essai d’apaiser sa douleur par une autre. Face à la souffrance du cœur, celle du corps n’a aucun effet… Comment sauver un homme quand son être est hanté par le fantôme de l’amour ? Il y a un niveau de poison dans l’âme où même le meilleur antidote ne peut plus rien et où seule la mort peut délivrer le damné de ses chaînes …
Debout sur le rocher, il fait face à la nuit, face à la terrible mer, face au crachin du chagrin, face à son destin ; il se leva doucement, sans haine, ni peur, ni regret… Car il savait que là était son destin, il savait qu’il était venu le temps de son apocalypse. Grandiose face à l’amour, il serait grandiose face à la mort.
Il ouvrit ses bras, face au monde, et la nuit l’avala aussi soudainement qu’elle avait tué l’astre solaire tel un monstre assoiffé de sang…
Le lendemain, les badauds regardaient d’un air émerveillé la gazette annonçant avec ironie la mort d’un vagabond ivre qui s’était jeté puis noyé dans la mer. On ne savait ni son nom, ni sa vie mais il était mort et cela suffisaient aux gens pour se divertir…
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Le Crachin du Chagrin
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