J’arrive à une heure très vague sur le tournage, j’ai juste prévenu de mon arrivée pour faire quelques photos sur le vif. C’est l’après fin de déjeuner, le catering remballe ses affaires, mais les assiettes sont encore là. Ça me creuse l’estomac. Pris dans un embouteillage monstre, je suis arrivé trop tard et je n’ai pas mangé avec l’équipe. Je n’ose pas demander mon reste et je me dirige plus loin, vers ce qu’il me semble être le « set » du moment. Une longue étendue de pelouse, large d’une dizaine de mètres. Au fond, des techniciens s’affairent autour d’un banc où répètent des comédiens. Plus loin, sur la gauche, je repère la caméra sur son piédestal. Je me place à distance respectable, une trentaine de mètres, pour observer la scène et comprendre ce qui s’y passe. J’adopte une position d’observateur, jambes légèrement écartées, mains croisées derrière le dos. Et je regarde. Je reconnais une comédienne réunionnaise qui s’est fait une place au soleil à Paris. Son sourire m’éblouit, ses yeux prennent la lumière. Même à cette distance, je capte son aura.
Et là, un type déboule du côté boisé longeant la pelouse. Il s’arrime à côté de moi, singeant ma posture. Il est grand, blond, pas mal fait de sa personne. Mais il ne me dit rien. Ce rien qui fera tout de ma grande solitude à venir.
Il est là, il gigote à côté de moi, semblant faire le beau, parodiant dans les gestes mon état d’observateur. Je pense à un figurant trop excité pour garder son calme lors d’une répétition d’acteurs, quelque chose de trop éloigné de lui mais proche dans son orgueil « d’y être ». Du coin de l’œil, je l’observe en pensant à l’abruti que je ne vais pas tarder à repousser d’une bourrade sympathique. Je me tourne vers lui en le saluant d’un « Bonjour ! » avenant, de règle sur les tournages. Il me répond sur le même ton, avec un sourire éclatant et une mine courtoise. De celle que j’aurais du reconnaître...
Il gigote de plus belle en me regardant de plus en plus souvent, comme s’il me connaissait sans que je m’en rappelle, comme si c’était évident, comme si je devais savoir...
Il m’inquiète ce quidam, qu’est-ce qu’il me veut à faire le beau à côté de moi, qui ne fait que regarder la répétition ?
Mais très vite, je constate que c’est là mon grand dam, mon indéfectible chemin de croix pour les mois et les années à venir.
La répétition est terminée, l’équipe se met en place pour le tournage de la scène. Je m’apprête à bouger pour avoir un meilleur angle de prise de vues, quand je vois éberlué mon compagnon d’observation se diriger naturellement vers le plateau et se mettre dans la meilleure des positions, celle du premier rôle.
Car j’avais à côté de moi, pendant un temps qui m’a semblé très long, l’acteur phare du film, le premier rôle, celui de qui tout dépend. Et je ne l’avais pas reconnu.
Depuis ce jour funeste, chaque fois que je zappe sur les bouquets de chaînes par satellite, j’ai la hantise de le retrouver. Pourquoi ? Parce que c’est un des principaux acteurs de téléfilms français, présent dans au moins 1 film sur 5, d’après ce que j’ai pu constater !
Il se prénomme Bernard, a de longs cheveux blonds et des yeux bleus. Vous ne pouvez pas le louper. Comme moi d’ailleurs, car c’est devenu mon calvaire...
Dan