Aujourd’hui
Aujourd’hui n’est pas un grand jour. Ni un petit.
Aujourd’hui est un jour comme tous ces autres "aujourd’hui" devenus "hier".
Je ne me souviens plus de la date d’aujourd’hui ; je pense que nous sommes lundi... enfin une chance sur sept que j’ai raison... qu’importe, j’ai appris à avoir tort depuis bien longtemps...
Tout à l’heure, j’ai demandé au gardien un crayon et des feuilles, parce que je DEVAIS écrire.
C’était violent ; comme un éclair de conscience dans ma tête...
C’est certainement stupide...
Personne n’a jamais rien trouvé d’interessant dans ce que j’écrivait à part mes fautes d’orthographe, de grammaire, de syntaxe etc. moi même je n’ai surement jamais rien trouvé d’interessant dans mes textes...
Là, allongé sur ma couchette, je regardais les murs anciennement blancs et désormais gris et poisseux...
Seul "Gildo" a une cellule propre : ce matin, deux mâtons sont venus accompagnés d’un larbin qui a tout nettoyé (même si Gildo il gueulait parce qu’il voulait pas avoir des murs blancs... mais ici, ce qu’on veut, ils s’en foutent.) Deux heures plus tard, des journalistes sont venus pour prendre des photos et poser des questions à des lèches-cul briefés une heure plus tôt.
A la cantine (ou le "Resto"), tout le monde a dit qu’ils étaient venus là pour dire aux honnêtes gens que "la Zonzon en France est tout à fait conforme aux Droits de l’Homme ; "que les tolards sont traités comme des Hommes doivent l’être" ;et "que là, ils sont bien surveillés pour la sécurité de la population" et d’autres conneries...
Et là, pendant la soupe, on a tous eu en tête cette image vaseuse du connard moyen hochant la tête la bouche ouverte devant sa télé et ajoutant "Regarde ça Chérie, c’est incroyable tout le confort qu’ils ont... et dire que tout ça c’est nos impôts..." et elle, elle est d’accord même si elle s’en fout parce qu’elle a rien vu, elle avait pas fini d’asaisonner la salade...
"Désolé, M’sieur,j’ai oublié de vous dire merci, merci pour tout ce confort... et aussi pour les grilles, l’ennui, les humiliations et les passages à tabac par les mâtons (qui, comme les meubles sont payés avec vos impôts)et aussi pour les suçage de bites forcés, les nez que j’ai éclatés pour trouver un peu de paix et de respect, j’ai déjà dit les humiliations ?... Merci."
N’empêche que Gildo il avait raison de gueuler, il mange tout seul et se prend des coups et des insultes dans le dos chaque fois qu’il ose lever les yeux... Je paris que ce soir, il chiera sur ses murs blancs, histoire de se sociabiliser de nouveau...
Je mangeait tranquille, comme d’habitude, sans un mot et y’a Manu qui s’est assis devant moi... Ce mec adore me parler même si je lui répond jamais ; et je crois qu’au fond, j’aime bien aussi quand il me parle...
Sans dire bonjour ni rien ( il sait que la politesse ça me gonfle) il s’est mit direct à me parler d’un truc qu’il avait lu dans un magazine : apparement, des scientifiques ont étudié le fonctionnement de l’orgasme masculin et il semblerait que l’éjaculation ne soit qu’un mécanisme... ce qui signifie que l’éjaculation n’est pas forcément un orgasme...
On aurait dit que tout ce en quoi croyait Manu s’était effondré, vu son expression.
Moi, je l’ai regardé et j’ai rien dit ; pas envie, et même si j’avais voulu, c’était trop tard...
"Sam le squelette" était monté sur une table en hurlant que c’était dégueulasse la bouffe... trois mâtons l’ont fait descendre avec des coups dans le bide pour lui expliquer qu’il avait tort ; tout le monde a hurlé des trucs incompréhensibles puis on s’est rassit pour bouffer... c’est vrai qu’aujourd’hui, c’était particulièrement dégueulasse la bouffe mais c’est pas pour autant que le squelette il avait raison... c’est Big Brother qui a toujours raison...
La journée est passée et après la "récré", on nous a tous enfermés dan nos "chambres", pour nous rappeler qu’il faut toujours obéir à l’autorité (parentale, gouvernementale, patronale et autre) même si elle est stupide et incohérente.
Et c’est là, une fois allongé sur ma couchette, alors que je regardais mes murs poisseux, en pensant aux murs blancs de Gildo et aux murs bleus de la chambre de ma mère... c’est là que j’ai eu l’idée d’écrire. Ca faisait bien huit mois que j’avais pas eu d’idée ! la dernière fois, j’avais décidé d’étudier la psychologie de mes camarades de la classe dangereuse. Un échec. J’me suis vite rendu compte que la psychologie ici, ça sert à rien ; on sait déjà tout "d’instinct"...
Mais aujourd’hui, aujourd’hui mon cerveau s’est remis en marche... ça fait du bien qu’aujourd’hui soit un jour un peu différent, un jour où quelquechose a frappé mon esprit...
J’ai peut-être une image batârde de l’Humain, mais je crois que dire "les détenus sont traités comme des Hommes doivent l’être" est une absurdité.
Partont d’une base : Enfermer un Homme, c’est inhumain.
Alors, soit nous ne sommes pas des Hommes mais la société a la gentillesse de nous traitér tout de même comme tels ; soit nous sommes des Hommes traités comme il se doit par des être qui n’en sont pas...
Je n’opterais ni pour un "soit ni pour l’autre... la base est peut-être fausse après tout...
N’empêche que je ne comprend pas très bien cette obsession de notre société à construire des murs, des grilles et des verrous soit disant pour se protéger...ABSURDITE...
Quand est-ce qu’on s’envole ? Plus personne ni pense, plus personne ne peut... Chere Liberté, tous t’ont enterré dans les abîmes de la psychose... même les tolards t’oublie aussitôt dehors.
La réalité est âpre et la poésie de plus en plus fade.
Tout prend une tournure et une logique étrange et irréfléchie dans notre société ; et ici plus encore qu’ailleurs : Je repense à l’expression défaite de Manu lorsqu’il parlait de l’éjaculation qui n’est pas toujours orgasme... vraiment bizarre, il y croyait peut-être vraiment à son orgasme... même ses fantasmes vont devenir fades maintenant.
Mais tout de même ! quelle connerie ! Payer des scientifique à étudier ça et à conclure ça ! S’ils m’avaient demandé à moi, je leur aurait dit moi, je leur aurait raconté...
Chaque jour je me branle ; c’est ma petite habitude ici, comme un café noir le matin ; parfois j’me branle, je crache, mais je continue quand même ma p’tite gymnastique, parce que j’me suis pas rendu compte que c’est fini... ; d’autres fois j’ai l’impression que c’est la main d’un autre qui me branle, ces fois là, sont plus rares... et tant mieux parce que même si elles sont plus plaisantes que les autres branlettes, quand j’ai fini, j’ai toujours une sensation malsaine qui parcourt mon corps... je me compare aux pervers du secteur B, et j’me dégoute.
Alors, je m’allonge sur ma couchette et je pense aux murs bleus de la chambre de ma mère... ces murs là, ils étaient beaux, pleins de sourires encadrés ; pas comme ceux de l’orphelinat, ceux de l’orphelinat, ils étaient comme ici : poisseux et humiliants !
En réalité,... je ne sais plus vraiment si les murs de sa chambre étaient bleus, mais ces yeux l’étaient... peut-être, que depuis que son visage s’est effacé, je ne vois que ces murs protecteurs, d’un irréel et merveilleux bleu...
Merde ! Je m’accroche à des murs qui me torturent.
Je n’aurait pas du écrire aujourd’hui, j’ai perdu ce en quoi je croyait.
Construire des murs pour se protéger c’est absurde ?
A.P.