En Afrique tout individu revêtu d’un uniforme est une source d’emmerdements potentiels pour le reste de la population, y compris et à fortiori (surtout dans certains pays) pour l’Européen qui peut représenter un complément de revenus le cas échéant.
Au Nord Cameroun les policiers étaient couramment appelés « mange-mille » par les coopérants car un billet de mille francs CFA (dix francs français) résolvait souvent bien des problèmes.
Au Tchad le tarif n’était pas fixe mais le principe était le même.
Voici quelques anecdotes dont j’ai été le « héros » bien malgré moi.
En 1996, à Garoua (Nord Cameroun) j’avais fait brûler une montagne de vieux pneumatiques dans une sorte de carrière à une dizaine de Kms de la ville. La mise à feu avait eu lieu le Jeudi et le Dimanche on apercevait encore une colonne de fumée noire s’élevant dans le ciel. Je n’étais pas très fier de ma solution polluante mais mes prédécesseurs à la tête du Parc Auto n’ayant rien fait depuis des années, il avait fallu que je prenne une décision pour faire de la place dans les entrepôts. Bref ça fumait toujours et je décidais le Dimanche après-midi d’aller jeter un coup d’oeil sur les carcasses calcinées. Seul au volant de ma vieille Nissan de fonction je quittais la ville par la piste menant au Nigeria et au ... brasier ; je devais rouler à 50kms/h quand à la sortie de la ville j’entends plusieurs coups de sifflet ; un coup d’oeil au rétro et je vois un flic gesticulant au bord de la piste, à la hauteur d’un bouquet de manguiers que je venais de dépasser. Seul sur cette piste, les coups de sifflet étaient donc pour moi. Freinage, arrêt et marche arrière jusqu’au policier vitupérant. Un deuxième flic était assis à l’ombre des manguiers, ça devait être le chef. Glace ouverte, mais sans descendre du véhicule, je salue la « police ».
Bonjour Messieurs !C’était pour moi le sifflet ?
Refus d’obtempérer ça va vous coûter très cher ! D’abord les papiers du véhicule et le passeport.
Je présente les documents que mon interlocuteur épluche consciencieusement en cherchant la faille. Tout est OK de ce côté ainsi que l’état de la voiture pour laquelle il ne trouve rien à redire. Je lui explique que je ne l’ai pas vu ni entendu et que je n’ai aucune raison de refuser d’obtempérer, la meilleure preuve étant mon retour en arrière. C’est au moment où l’adjoint semble à peu prés convaincu de ma bonne foi que se lève le « chef » .Il arrive prés de la voiture, grimace un sourire et me dit simplement :
Refus d’obtempérer plus délit de fuite ! Monsieur, je crois que ça peut aller jusqu’à la prison sans oublier bien sûr une forte amende.
Voila le genre de situation à laquelle on peut se trouver confronté en Afrique. Il n’y a pas de recours. Inutile de s’énerver, ça ne fait qu’aggraver les choses. Ils sont chez eux, assermentés et nous tiennent à leur merci. Bien sûr que derrière mon sourire de circonstance germent des idées de meurtre (j’exagère un peu bien sûr !) mais la seule arme efficace reste le billet de mille qu’il faut arriver à faire miroiter sans être accusé...de corruption de fonctionnaires. Je crois me souvenir que ce jour là ça s’est terminé de cette façon. C’est l’Afrique patron !
Ca me rappelle l’histoire d’un collègue, toujours au Cameroun, verbalisé parce qu’il n’avait soi-disant pas marqué un Stop. En fait,selon lui, il s’était bien arrêté mais le flic lui aurait dit : -Vous ne vous êtes arrêté que des roues avant ! ...
Une autre fois à Moundou (sud du Tchad) alors que j’étais rentré de congés la veille, je décide d’aller faire quelques courses chez le Libanais du coin. Sur la route qui mène en ville, contrôle de police. Je me gare, ouvre la glace et reconnais Moussa, un flic sympa avec qui j’ai eu à faire par le passé.
Bonjour Moussa !Comment ça va ? Et la santé, et la famille, etc.... ?
Ah bonjour patron. Beaucoup de jours, tu es rentré de la France, c’est bien.
Oui Moussa, les vacances sont terminées et le boulot reprend !
Et oui ! Bon ! Patron tu as les papiers ?
Je fouille la boite à gants et lui tends les papiers du véhicule.-----
C’est bien ! Et le permis ?
M.... ! J’ai laissé mon permis dans ma mallette de voyage à la maison.
Je lui explique.
Il est à la case, je l’ai oublié mais tu me connais et tu sais que comme Chef de parc j’ai le permis de conduire.
Oui bien sûr patron.
Je peux aller le chercher .
-Oui et tu seras en règle à ce moment là mais présentement tu ne l’as pas et donc il y a infraction.
II faut que tu me suives au poste voir le commissaire.
Là encore inutile d’insister !Je suis allé au poste avec Moussa tout heureux de présenter à son chef un Blanc en infraction.Ca s’est arrangé à l’amiable avec le commissaire que j’allais visiter régulièrement pour récupérer mes chauffeurs incarcérés pour un oui pour un non.
Ce même commissaire qui faisait contrôler les « organes » de tous les véhicules à leur retour de brousse et avant l’entrée dans l’enceinte de la société Coton Tchad
Entendez par organes tout ce qui touche à l’éclairage. Chaque ampoule grillée coûtait 1000frs CFA.
Un P.V pour un camion qui rentrait après plusieurs centaines de Kms de piste pouvait s’élever à 15 ou
20 000frs CFA.
Entre la mauvaise qualité des ampoules « made in Nigeria, China et autre », le chapardage des chauffeurs que je soupçonnais fortement de les vendre aux privés et le dag-dag (les chaos) engendré par l’état des pistes, la Coton Tchad réglait bon an mal an plusieurs millions à la police. J’avais longuement expliqué ces problèmes au commissaire qui m’avait écouté les pieds sur le bureau, le cul dans un fauteuil avachi, transpirant sous un ventilateur poussif.
II avait très bien compris et m’avait avoué que ses supérieurs à N’Djaména lui imposaient une « recette annuelle » et que sa place dépendait du résultat.
Si à Moundou c’était le permis de conduire la pièce importante, à Garoua c’était le passeport J’ai été contrôlé une fois alors que mon passeport était au consulat pour prorogation.
Ca a failli très mal tourner et j’ai crû que j’allais connaître la paille humide des cachots camerounais. Heureusement un des flics assurant le contrôle, et à qui j’avais dû glisser 1000 balles peu de temps auparavant, a réussi à convaincre ses collègues que je ne présentais aucun danger pour la paix civile. C’était l’époque où de France repartaient les « charters » de sans-papiers Maliens à destination de Bamako. Ceci explique sans doute cela...du moins en partie mais de toute façon le Blanc a (presque) toujours tort et voici un exemple vécu par un de mes anciens collègues.
Ca se passe au Tchad .Ce monsieur était célibataire mais vivait depuis de nombreuses années avec une Camerounaise qu’il avait connue à Garoua où il avait été en poste. A l’occasion d’un contrôle de santé il s’avère que la demoiselle est séropositive. Elle porte aussitôt plainte contre son compagnon, l’accusant bien entendu de l’avoir contaminée. Les tests effectués indiquent clairement que lui est négatif. Ca n’empêchera pas le tribunal de Moundou de le condamner à verser à son ex-concubine plusieurs millions CFA de dommages et intérêts. J’ai souvent entendu les Africains dire que « le Sida c’est une histoire de Blancs », les juges de Moundou devaient penser la même chose...
Pour conclure, je dois souligner par honnêteté intellectuelle que je n’ai jamais été ennuyé ni même contrôlé par les forces de l’ordre au Burkina-Faso durant les deux séjours de plusieurs mois que j’y ai effectués. Comme quoi rien n’est jamais tout blanc ou tout noir...même en Afrique.
2005