« Shaft Kop ! » L’ordre lancé dans un mélange d’anglais et d’afrikaans par les policiers a un effet immédiat sur les quelques centaines d’individus accroupis sur ce terre- plein poussiéreux qui fait office de quai de gare ; ils baissent la tête et le silence s’installe parmi ces hommes et ces quelques femmes qui attendent les « trains du retour ».
Nous sommes à Lindéla, au pays de Mandela, non plus à l’époque de l’apartheid mais en l’an deux mille sept.
Lindéla est un centre de rétention, situé à quelques kilomètres de Johannesburg, où sont rassemblés les sans-papiers d’Afrique du Sud que la police a arrêtés à travers le pays.
Ils sont ensuite expulsés assez rapidement vers leurs pays d’origine, du moins pour ce qui concerne ceux que l’on a pu identifier comme étant Zimbabwéens ou Mozambicains, les deux nations qui fournissent le plus d’irréguliers compte tenu de leur niveau de vie extrêmement bas et de leur proximité géographique.
Chaque semaine donc, deux trains partent vers ces pays respectifs avec leur chargement humain pour un voyage qui va durer dix sept heures. Ces retours représentent aujourd’hui environ cent cinquante milles « voyageurs » par an et leur nombre ne cesse d’augmenter au fil des années.
Ici, selon la journaliste, point de brutalité et même une ambiance plutôt détendue tant dans le camp que plus tard dans les trains. On est malgré tout entre frères...
Les expulsés sont donc reconduits aux frontières par voie ferrée et « manu militari » mais reviennent en général assez rapidement par voie routière vers leur « job » soit à Johannesburg soit au Cap où ils vivent la plupart du temps de petits boulots avec femmes et enfants dans des conditions de logements plus que précaires.
C’est ce qu’explique Thabani, barman d’origine mozambicaine qui travaille dans une grande brasserie et vit aujourd’hui sa septième expulsion.
Depuis le milieu des années quatre vingt dix, l’Afrique du Sud est devenue l’eldorado dont rêvent les peuples des pays limitrophes tout comme l’Europe est le miroir aux alouettes pour les Africains vivant entre équateur et Sahara.
Des centaines de millions d’individus, très jeunes pour la plupart, survivent tant bien que mal dans cette Afrique Noire prise en tenaille, espérant trouver une solution à leur vie de parias en forçant les portes du Nord et aussi maintenant celles du Sud.
Que peut-on reprocher à cette Afrique du Sud qui compte d’une part trente pour cent de chômeurs parmi sa population active et d’autre part trois à six millions d’ »illégaux » pour un total de quarante quatre millions de Sud-africains ?
Comme chez nous en Europe, les Africains des pays émergents sont considérés, à tort ou à raison, comme des concurrents à l’emploi et catalogués de ce fait comme « persona non grata » !La noria des « charters ferroviaires » n’est pas prête de s’interrompre au départ de Lindéla.
JCJ
Source : Le Monde du 06 Juin 07 d’après un reportage de Fabienne Pompey