Chérie, je mets quelle cravate ?
Tu as quoi comme chemise ?
J’ai pris la blanche, la dernière que tu m’as achetée.
Ha, non pas celle-là, tu l’as mise pour l’enterrement de tante Jeanne. Prends plutôt la rose avec les fines rayures mauves, elle te va bien et pour la cravate tu mets celle en soie vert pâle.
Je vais ressembler à une glace à la pistache là dedans.
Mais non, fais moi confiance avec ton costume chocolat tu seras merveilleux.
Comme d’habitude, Michèle, ma compagne avait raison. La cinquantaine fringante depuis que je l’avais rencontrée, il n’y avait pas à dire, j’avais encore de beaux restes. Michèle de son côté finissait de se maquiller dans la salle de bains. Je l’avais rencontré 2 ans plus tôt, en pleine crise, après un licenciement mal vécu et une séparation très difficile. Je me posais des questions sur mon avenir, j’étais prêt à jeter l’éponge, à tirer ma révérence quand je l’ai rencontrée lors d’un nième atelier de reconversion qui était aux séniors sans emploi ce qu’est les AA pour les buveurs, l’efficacité en moins...
Elle avait eu un parcours hors du commun, tour à tour directrice artistique, chef de pub dans une boîte de com’, déléguée d’ambassade pour des missions culturelles à but humanitaire, accaparée par sa vie professionnelle, elle en avait oublié sa vie de femme. Notre rencontre pendant cet atelier qu’elle animait, n’aurait pas du se produire. Je m’étais trompé de jour, d’atelier, j’étais mal rasé, désabusé, en colère contre la terre entière. Je continuais de participer à tous ces trucs inutiles inventés pour soi-disant recaser les séniors mais je n’y croyais pas, je ne croyais plus en rien. Michèle, instantanément m’a pris sous son aile et m’a demandé de rester, de participer à cet atelier même si le thème - Culture et entreprises - était aux antipodes de mes compétences. A la fin de l’atelier, elle m’a invité à boire un café, j’ai accepté et depuis 2 ans maintenant nous vivons ensemble. Elle créait sa propre boîte de communication visuelle ; elle avait envie de se poser ; et elle m’a proposé de bosser avec elle, comme ça, sans me connaître, juste au feeling et ce soir, ce soir était un grand jour.
Elle venait de décrocher en sous-traitance un énorme contrat qui allait assurer l’avenir de la boîte pour plusieurs années. Nous étions invités par l’agence de publicité avec qui elle travaillait pour nous présenter enfin ce client mystère qui avait décidé de la choisir elle et pas une autre pour assurer ses prochaines campagnes de promotion.
Alors, je suis comment ?
Belle, tu es magnifiquement belle. Je t’aime.
Moi aussi.
Nous avions décidé d’arriver un peu en retard au dîner, cela faisait partie de la stratégie de Michèle - se faire désirer, et ne jamais se livrer totalement - Le taxi nous dépose devant le restaurant, je profite quelques instants de Michèle avant qu’elle ne m’échappe une partie de la soirée, une fois n’est pas coutume, je devais jouer les potiches ce soir et lui servir de faire valoir. Pendant qu’on nous guidait vers notre table où nos hôtes nous attendaient, je me crispais. Je venais de reconnaître de dos une silhouette que j’aurais reconnue entre mille. Non, ce n’était pas possible, nous allions nous retrouver à dîner avec la personne qui me détestait le plus au monde et je le lui rendais bien. Notre dernière rencontre devant des avocats s’était très très mal passée. Y penser me donnait encore des sueurs froides.
Quelque chose ne va pas mon chéri ?
Non, rien ne t’inquiète pas juste une petite appréhension.
Détends toi tout va bien se passer.
Bernard, le patron de l’agence de pub en nous voyant arriver se leva pour nous accueillir en ouvrant les bras avec un immense sourire. La silhouette qui me tournait encore le dos se leva à son tour et mes pires craintes s’évanouirent quand je croisais son regard ébahi. Sa bouche s’ouvrait et se fermait comme un poisson rouge hors de son bocal. Me voir rayonnant, au bras d’une femme superbe à qui son entreprise venait de faire un pont d’or, était un choc que mon ancien patron ne serait pas prêt de digérer.