Cher Jean d’O,
En préambule, car n’ayant pas votre nouvelle adresse depuis que vous avez quitté votre fauteuil des bords de Seine, Quai Conti, j’ignore si cette lettre vous parviendra mais les voies du Seigneur étant impénétrables, sait-on jamais , je prends le risque !
J’allais vous souhaiter le bonjour mais peut-être n’est-ce pas la meilleure formule de politesse en cours là où vous vous êtes retiré depuis bientôt trois bien longues années. Combien de fois, au fil de vos ouvrages, vous êtes-vous interrogé sur cet « Après » qui amenait mille questions sans, me semble-t-il, que l’inquiétude n’ait jamais pris le pas sur la curiosité … Peut-être avez-vous la réponse aujourd’hui ?
Venons en au fait, au pourquoi de ces quelques lignes… Eh bien, cher Immortel, je voulais tout simplement vous remercier de m’avoir, une fois encore, tenu compagnie dans une situation, vous en jugerez par vous-même, tout à fait exceptionnelle…
Je résume en citant La Fontaine… Ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient frappés !
Vous avez bien sûr reconnu ce vers extrait de la fable « Les animaux malades de la peste »…
Eh bien mon cher Jean, (si vous me permettez cette familiarité ), cette fois les hommes ont remplacé les animaux car c’est une pandémie virale et mortelle qui s’est abattue sur la planète bleue sans épargner personne. Peu importe la couleur de peau ou celle du drapeau, l’état du compte en banque, le régime politique ou les croyances multiples et variées (totalement inefficaces dans ce cas précis) car s’ils n’en mourraient pas tous, tous étaient frappés !
Il aura fallu près de deux mois de mise en liberté surveillée des populations pour freiner l’épidémie ! Ce confinement prend fin demain pour ce qui est de l’hexagone et c’est pourquoi je tenais à vous remercier pour m’avoir aidé à franchir l’obstacle en douceur grâce à la relecture de vos ouvrages et plus particulièrement de "Au plaisir de Dieu", ce chef d’œuvre qui m’aura permis de retrouver le calme et la solitude de Plessis-lez-Vaudreuil, véritable thébaïde et point final de ma retraite forcée.
Je dois avouer que j’avais bien tenté, mais sans succès, de me replonger dans l’univers de Marcel Proust que j’ai rapidement abandonné pour parcourir le Sahara en compagnie du Professeur Théodore Monod, celui que les Bédouins nommaient le "savanturier" et qui jusqu’à ses 95 printemps n’aura jamais supporté d’être privé de désert…
Vous aurez donc échappé, cher Jean, à cette réduction de voilure, voire à cette mise à la cape de notre monde moderne que les hommes croyaient maîtriser dans tous les domaines !
Connaissant votre soif de liberté et votre besoin de grand air, c’est peut-être mieux ainsi…
Aujourd’hui j’entends parler du « monde d’après » sur l’air du "plus jamais ça" en sachant pertinemment que demain, au mieux après demain, tout recommencera comme avant !
Ça aurait parait-il servi de leçon dans plusieurs secteurs d’activité ( commerce, industrie, tourisme, etc.) et mis à mal le contexte « Monde global » ! Je n’y crois pas un instant mais à bientôt 79 printemps je ne suis plus vraiment concerné par ce qui se prépare…
Après Aragon et vous-même je me suis permis d’utiliser ce vers… C’est une chose étrange à la fin que le monde… pour illustrer cet évènement, avouez-le, particulièrement étrange !
Voilà, monsieur le Comte, ce que je voulais vous faire savoir avec toujours ce doute quant à l’efficacité du courrier intersidéral… mais nous verrons bien, n’est-il pas !
Encore une fois merci mon cher Jean et … à un de ces jours !