Elle avait froid. Les doigts engourdis, elle écrivait. Puis lui vint en tête une image, celle d’une petite fille qui attendait comme elle, assise dans le froid à regarder le monde autour d’elle continuer à tourner. Et elle pensa à la sienne. A ses mots avant qu’elle ne parte et à ses yeux tristes. « Je suis triste Maman. » Elle regardait les minutes défiler, en se demandant ce qu’elle faisait là. La colère. C’était la colère d’avoir vu, une fois de plus, que rentrer tard ne changeait rien. Il fallait toujours qu’elle prenne les décisions, qu’elle s’occupe des enfants, du repas, des tâches ménagères. Non, pas des enfants, « ils jouent tranquillement dans leur chambre ». Étonnant, quand elle s’en occupe le soir ils font bêtises ou bruit à s’en casser les oreilles. Mais le reste est à faire. Ce n’est pourtant pas grand chose ! Elle ne dit rien, le fait. Est brusque parce qu’il n’a rien fait « j’allais m’en occuper, je voulais juste qu’on en parle ». Toujours des décisions à prendre, pourtant simples. Alors elle les a prises. Et elle a appliqué ses décisions. Et elle encaisse les reproches. Ne veut pas parler parce qu’elle sait très bien ce qu’il dira. Du moins elle le croyait. C’était pire. « Mais dis pas que je fais rien, j’ai fait le détour pour aller te chercher ton gâteau ». Elle lui parle de tâches ménagères, lui rappelle qu’elle lui a demandé de l’aide moins de deux semaines avant et... il répond qu’il en a fait : aller lui chercher son gâteau d’anniversaire. Aller chercher son gâteau d’anniversaire est une tâche ménagère. Elle aurait plutôt classé cela comme effort pour faire plaisir. Pas comme tâche ménagère. Mais c’est vrai que c’était à sa demande... Alors, elle a encaissé. Cette réponse qui fait mal et qu’elle ne comprend pas. Elle a encaissé ses désillusions et sa bêtise de croire qu’il pouvait changer et l’aider un peu. Elle n’a rien dit et a ravalé sa colère.
Lorsque le petit a vomi dans sa chambre, elle n’a rien dit non plus. C’était sa faute pourtant, il l’a emmené dans sa chambre sur son beau tapis alors qu’il savait que la probabilité était forte pour qu’il vomisse. Elle a pris une éponge, en faisant attention de prendre celle qui était neuve, parce qu’il avait dit qu’il jetait l’ancienne destinée aux salissures. Elle a commencé à nettoyer le tapis, pour que son fils puisse continuer à jouer sur un tapis sans tache. Puis, il a vu l’éponge. « Pourquoi tu as pris celle là ? C’est celle pour la vaisselle ! ». L’incompréhension. Les tentatives d’explication, les reproches. Reproches qu’elle ne peut plus encaisser. Elle s’habille, embrasse ses enfants, leur dit qu’elle sera là demain. « C’est à cause de moi ? » Oh non, ils étaient ceux qui la faisaient rester. Elle est partie, ne sachant pas où aller. Elle s’est assise devant son immeuble et a attendu. Et elle a réfléchi. Il ne lui enlèvera jamais ses enfants, elle reviendra toujours pour eux. C’est une certitude. Mais où aller ? A qui parler ? Aller chez ces amies qui l’accueilleraient à coup sûr ? Mais pourquoi les déranger ? Après tout l’une d’elles est allée à l’hôtel au lieu de taper à la porte. Et puis, elles imaginent, comme tout le monde, que tout est beau et parfait dans sa vie. Parler avec cet ami qui lui a déjà fait confiance ? Elle envoie un message, il ne répond pas. Tant pis. Elle ne lui dira rien. Elle reste donc seule, dans le froid. Et puis elle se souvient. Elle se souvient qu’écrire lui faisait du bien. Elle se souvient qu’elle a rouvert son compte récemment. Elle se souvient que ce ne sont que des inconnus qui lisent. Sauf peut-être... non, elles ne doivent plus y être, après tant d’années. Après tout, elle est seule maintenant. Comme elle l’a souvent été. Elle est seule et elle a froid. Ses doigts se figent sur le clavier, ses mains tétanisent. Elle doit remonter. Pour embrasser ses enfants et les rassurer. Elle ne les laissera jamais. Ils seront toujours avec elle. Mais elle ne veut pas lui parler. Elle veut rester seule dans sa tête. Après tout, la seule personne qu’elle peut contrôler, c’est elle-même.
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