Alors j’attends. Je sais que le moment à venir peut être riche. Il s’agit d’un échange, souvent avec une femme, parfois avec un homme, parfois avec moi-même. En arriver là, à se demander ce qui va advenir est déjà un exploit. Cela signifie qu’on a réussi à se poser, à se proposer comme un interlocuteur, un locuteur, quelqu’un qui a quelque chose à dire. Il faut déjà avoir pris conscience de la nécessaire implication de chacun dans la construction d’un événement, inédit forcément. Des fois c’est banal, il s’agit d’un dialogue déjà expérimenté par d’autres mais de temps en temps, comme des petites lumières qui balisent la vie, l’échange est plus profond, chacun amène un peu de son histoire, un peu de sa pensée comme une offrande à l’autre. Et le conte s’articule. Au milieu des bagages plein de trésors toujours renouvelés s’installent des petites peurs, des petites pudeurs comme des serpents effrayants et des ombres mortelles ; quand l’échange est amoureux, ces serpents ont un venin particulièrement vicieux qui fait ressembler les plus belles romances à des amourettes de gare ou à des conversations de bistrot voire des transactions commerciales, quand l’échange est plus spirituel, ils font comme un mur qui peut devenir infranchissable. Aussi, je prends bien soin de ne pas déposer mes affaires trop vite sur l’esplanade de la rencontre, et j’attends. Je mets ce temps à profit pour chasser mes serpents, pour nettoyer la surface, pour combler les trous où verserait un attelage étourdi, pour accueillir au mieux celui ou celle qui vient à ma rencontre. Je fais attention de ne pas construire de décor pour ne rien imposer et surtout pour être sûr que ce qui structurera notre échange sera bien construit par nous deux. C’est un vrai plaisir d’affronter ses propres angoisses quand tout ce qui est promis ne sont finalement que les angoisses de l’autre, il s’agit de bien les connaître, les accepter et de savoir comment elles sont fondatrices de cette demande ou de ce besoin qui nous conduit à la rencontre. Alors j’attends en me demandant si les véhicules de nos pensées, plus rarement de nos sentiments vont bien se croiser, si les trajectoires ne seront pas trop elliptiques et si ce que j’exprime n’est pas un obstacle ou une porte sombre dans laquelle on rechignerait à s’engouffrer. Je tourne autour de ce que je pense, de ce que je dis, je change ma perspective, parfois je remplace quelques briques, souvent j’en enlève au point de faire table rase. Et j’attends en étant capable d’admirer au loin les gerbes étonnantes jaillissant de la collision d’autrui.
Je sais que bientôt, il sera là ou elle sera là ou je serai là et que nous pourrons parler ensemble.
Et dans cette attente, je me constitue.
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bientôt, c’est forcément plus tard, et c’est bon
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