Ce soir je vais au cinéma, je vais engloutir des pages entières de toutes les couleurs, vociférer avec des rebelles, réfléchir à la place du héros et au détour d’un dialogue partir dans une scène nouvelle. Je vais proposer à cette belle femme en larme une autre solution, une voie qui lui rendra le sourire, qui lui épargnera le poids de ce monde ignorant. Je lui ferai comprendre que je ne peux pas tout, certes, mais qu’avec un peu de recul on arriverait ensemble à trouver une belle issue à son enchaînement aux obligations dont je la délivre. Et puis les ongles bien faits de ma douce me ramèneront au danger immédiat, éviter cette voiture folle dont on distingue mal le conducteur, mari jaloux de la liberté de sa femme ou patron éconduit. La musique d’ambiance que constituent les remarques indignées des passants fera le lien direct avec une réflexion rapide sur ce que je viens de vivre, à deux cents mètres de ma place et la belle femme en larme est radieuse, à côté de moi et acceptera avec plaisir d’aller grignoter une pizza ou une belle entrecôte béarnaise et en sortant je ne sais plus quel est le théâtre de la procuration, la vie quotidienne ou ce moment de cinéma. Je sais que je me fabrique des histoires parfois, mais je sais aussi que je les pense avec les outils que je me forge tous les jours, en fournissant les efforts nécessaires pour répondre à des besoins que je ne connaîtrai sans doute jamais. C’est aussi pour cela que nous allons au cinéma, mon amoureuse et moi, nous choisissons des films qui nous transportent dans d’autres cultures, d’autres formes de pensée, d’autres manières de répondre aux contraintes humaines, sociales, politiques, sentimentales et nous écarquillons nos yeux devant la permanence des choses, quand nous reconnaissons dans ce couple tchèque la solidité de l’amour qui les lie ou dans ces mendiants japonais le trésor humain dont on ne peut dépouiller personne ou dans ces immigrés du bout du monde roulant sur une glace fragile l’étincelle de vie qui alimente l’espoir à construire, toujours et toujours.
Mais mon chéri, ce soir on va au théâtre !
Oui mon cœur, quand je suis avec toi, de toute façon j’écarquille mes yeux.
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