Amandine enfilait ses bas, en se demandant comme d’habitude pourquoi elle mettait ses bouts de nylon ridicules qui lui coûtaient un repas et qu’elle jetait systématiquement au moindre accroc. Elle adorait faire claquer la partie élastique sur le haut de sa cuisse. En passant ses doigts dessous pour mieux la positionner, elle comprenait pourquoi les garçons adoraient cette partie de son corps. Elle ne comprenait toujours pas leur hystérie ni comment ces quelques centimètres de chair délicatement recouverts de duvet blond les rendaient fous, comme prêts à toute violence et surtout oublieux de la personne qu’ils tenaient sous leurs mains mais elle se laissait aller à goûter le plaisir de sa souplesse, la douceur de sa peau tendue, élastique, qui marquait bien la trace de ses doigts fuyants. En jetant un regard sur sa jambe, elle était bien obligée d’admettre que le bas la fuselait bien.
Une véritable émotion esthétique la saisissait. À ce moment, elle aimait ses jambes et cela durait jusqu’au premier coup d’œil dans le miroir. Ce qu’elle adorait aussi, c’était se caresser à cet instant précis où son plaisir ne serait pas tributaire d’un dialogue, d’un échange avec un abruti qui ne comprenait rien à sa fragilité, à la délicate essence du plaisir de la chair, même son amoureux d’ailleurs était loin d’imaginer que la seule vue de ses jambes devait ou pouvait suffire à remplir toutes les cases de la jouissance naturelle. Elle passait sa main câline d’une jambe à l’autre, en effleurant son entrejambe. Elle bandait ses muscles pour mieux sentir sa caresse et toujours, était étonnée de la différence de sensations qui marquait une frontière entre ce qu’elle avait le droit de montrer à tout le monde et ce qu’elle réservait à sa vue ou à ses amis de cœur. C’était un peu comme si l’usage social de son corps avait distribué la qualité des plaisirs auxquels elle avait droit et qu’elle ne pouvait à son tour offrir que dans des situations particulières. Elle avait envie d’être rebelle. Du bout de ses doigts qui faisaient naître sous ses caresses un émoi nouveau, elle marquait sa rébellion dans un plaisir solitaire, qu’elle seule connaissait. Là, elle se trompait, sa révolution était sanguine, tout au plus. Elle se soumettait aux images qui accompagnaient sa progression vers une frustration toujours renouvelée. En même temps, elle réaffirmait que son corps lui appartenait, à elle, à elle seule et qu’il n’était pas question un instant qu’il en fût autrement. Alors, elle laissait le plaisir gagner cette pièce qu’elle occupait de toute son envie, de toute sa présence de femme, de toute sa réflexion qui la rendait actrice de sa vie, comme pour partager avec elle-même le moment où rien n’était plus rien pur, ce moment où jouir de la vie signifiait exister.
Quand le dernier souffle de son émoi s’est éteint, elle se dit en regardant une dernières fois ses jambes gainées : « d’accord, c’est une concession que je leur fais, mais on est tous gagnant ! »
C’est à ce moment précis, qu’elle remarqua, debout devant son miroir, des petites bosses, des petits renflements, une foule de petits détails qu’elle seule voyait d’ailleurs, comme si cela lui permettait de penser qu’elle était la seule à savoir exactement qui elle était.
Là, elle avait raison.