Vendredi matin, au marché hebdomadaire...
Tiens donc, voila Drine ! Ca faisait un tit moment que je t’avais pas vue...
T’étais pas malade au moins ?
Bonjour Mado... Non, j’étais pas malade, juste un peu dérangée par tous ces travaux dans le bourg, alors bien sûr je suis moins sortie. Déjà que j’habite pas loin de la rue de Verdun, avec ces tranchées partout ça faisait beaucoup pour la p’tite vieille que je suis et puis j’avais mes habitudes alors qu’ici sur la Place aux chevaux je ne retrouve plus mes marchands de toujours...
P’tite vieille, p’tite vieille, n’oublie pas que je suis ton aînée de quelques mois ! T’inquiète pas, on va s’y faire... En somme c’est peut-être mieux que dans la grand’rue où ça semait la pagaille tous les vendredis ! Tu sais que c’est plus la Place aux chevaux que ça s’appelle ? Aujourd’hui c’est la place Général de Gaulle... Comme le Grand Charles était lui-même officier de cavalerie, ça ne change pas grand chose... Toute façon, comme y a plus de chars à bancs c’est aussi bien comme ça...
Et puis on va avoir un joli bourg pour finir... Dis-moi, Drine, tu ne ferais pas partie de ces gensses qui sont jamais contents, des fois ?
Voui, voui, tu as raison, faut bien marcher avec le progrès... Ah dis donc, en parlant progrès t’as reçu tes impôts locaux ? Parait que là aussi ça progresse qui m’a dit mon voisin... Faut bien payer le chantier du bourg, spa !
Oui, bon, tant qu’on est là pour en parler c’est plutôt bon signe. C’est pas comme la bigoudène, Maria Lambour qu’elle s’appelait je crois... Ah t’as pas su ?
Mais si tu connais ! Celle qui faisait la réclame pour Tipiak à la télé avec sa grande coiffe...
Partie du côté de kenavo comme on disait dans le temps. Bon, cent trois ans qu’elle avait quand même...
Bientôt les coiffes pour les voir faudra aller dans les musées... Ou peut-être que sur la Toile comme y disent on verra des photos.
Qu’est ce que tu dis ? Les bigoudènes avaient des coiffes en toile ?
Mais non, en dentelles bien sûr ! La Toile c’est comme ça qu’on dit pour Internet... quand on est branché m’a précisé mon petit-fils avec un sourire en coin
Ah oui, Internet... Tout ça, ça me dépasse ! C’est comme le téléphone qu’y zont tous dans la main les gamins... Plus moyen de leur parler ou de les intéresser à aut’ chose.
Tu vois Mado, des fois je me dis qu’on a plus rien à faire sur la Terre...
Tout ça va trop vite et je me demande bien comment ça va finir...
De moins en moins de travail, de plus en plus de besoins et d’envies et de plus en plus jeunes...
Nous autres on avait rien et on faisait avec...
Ma doue beniguet ! Ben ma pauv’ fille, tu flanquerais le bourdon à tout un régiment avec ta façon de voir les choses ! Allez, je te raccompagne un bout et on va passer à la pâtisserie pour oublier tout ça...
Une tite religieuse comme d’habitude ?
Ben dame, je dis pas non !