Il me semble que les générations précédentes utilisaient bien plus que nous, très souvent sans en connaître précisément le sens et l’origine, de multiples métaphores dans le langage courant.
Étant enfant, à certaines demandes que j’adressais à ma grand-mère celle-ci répondait invariablement :
Oui, oui, on verra ça à la semaine des quatre jeudis ! Pour l’instant fiche-moi la paix, j’ai du pain sur la planche.
En attendant n’oublie pas de faire tes devoirs et de préparer ton cartable pour demain et nettoie bien ton ardoise.
Après tu iras acheter une miche pour ce soir... Avec le temps qu’il fait tu mettras tes galoches et ta cape sinon tu vas être trempé comme une soupe...
Tandis que je m’éloignais je l’entendais maugréer...
Cui-ci il est jamais content ! Il lui manque toujours deux liards pour faire un sou...
Pour le petit garçon de huit ans que j’étais alors, tout ceci semblait clair... Chaque expression avait son sens ou tout au moins le sens que je lui donnais alors sans me poser de question inutile.
Pour les gosses d’aujourd’hui ça serait aussi compréhensible que du chinois ou du javanais.
Pour moi la semaine des quatre jeudis était une semaine avec quatre jours sans école car à cette époque c’était le jeudi où nous n’avions pas classe... Je comprenais à mi-mots que ça relevait de l’utopie sans trop savoir quelle en était l’origine que je ne devais découvrir que bien plus tard.
En fait cette fameuse semaine nous vient du moyen-âge bien qu’à cette lointaine époque on parlait de la semaine des deux, puis des trois jeudis avant d’arriver à quatre bien plus tard.
Ca n’avait en réalité strictement rien à voir avec l’école, dont on ne parlait encore pas ou très peu, mais avec la religion.
En effet, l’Église avait décidé que mercredi et vendredi seraient jours de jeûne. Le mercredi parce que c’était le jour que Judas avait choisi pour trahir Jésus et le vendredi parce que le jour où ce dernier est mort sur la croix... Restait donc entre les deux le jeudi où l’on pouvait, dans la mesure de ses moyens, se goinfrer à s’en faire péter la sous-ventrière comme un cheval ayant trop mangé ... D’où le souhait teinté d’humour d’une semaine des quatre jeudis !
Ah ce « pain sur la planche » qu‘elle m‘a si souvent servi ! Je savais qu’elle voulait dire par là qu’elle avait du travail en cours mais quid de l’origine de cette expression ?
Là aussi il faut remonter le cours des siècles pour s’apercevoir qu’au départ ça voulait dire pratiquement le contraire... Je m’explique !
Pendant très longtemps on a stocké le pain sur une planche fixée au plafond, sans doute pour le mettre hors de portée de certains rongeurs. Quand on avait suffisamment de pain sur cette planche, on pouvait alors prendre un repos bien gagné.
Une autre version parle du pain que l’on donnait au bagnard et que ce dernier gardait également sur une planche... Tant que cette planche était approvisionnée en pain ça voulait dire que les travaux forcés continuaient, ce qui correspondrait mieux au sens qu’on lui donne aujourd’hui.
Je vous laisse le choix et vous fais grâce de la planche à pains qui désignait, et désigne encore parfois, une dame dont les formes ne sont pas suffisamment plantureuses au goût des hommes.
Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse pour les mots qui suivent, soit ardoise, cape et galoche.
Ardoise, vous avez dit ardoise et de plus dans un cartable ? Ben oui, c’était en quelque sorte la tablette d’après-guerre... C’est sur cette ardoise (parfois du simple carton peint en noir, parfois une véritable ardoise dans un cadre de bois) que nous avons appris à écrire et à compter en nous aidant de craies multicolores !
Quant aux galoches, c’étaient des chaussures cuir dessus, bois dessous et non pas celles que vous tentez de rouler à votre copine... Je n’ai d’ailleurs jamais compris le rapport entre ces deux galoches.
La cape, qui allait souvent de pair avec les galoches, n’était qu’un vulgaire morceau de tissu, genre poncho, sensé nous protéger de la pluie et du froid...
Et pour finir, les liards et les sous ! Le liard représentait je crois le quart d’un sou et si ces piécettes n’avaient plus cours à l’époque dont je vous parle, l’expression était toujours d‘usage.
Ca s’adressait surtout à celles et ceux auxquels il manquait toujours quelque chose, catégorie dans laquelle ma chère grand-mère m‘avait semble t-il définitivement rangé !
Novembre 2014