À certaines heures, quand le corps s’alanguit, la pensée parfois donne l’impression d’occuper un espace qu’elle avait déserté. Elle regarde ce corps qui ressemble aux autres, qui prend la pose de cet autre, éteint dans les souffrances qu’elle n’imaginait pas ou cet autre qui se cabre sous des coups abjects, ou cet autre encore qui s’épanouit dans des sourires fusionnés. Tout commence là dit-elle, avec cette expérience de la douceur qui envahit finement chaque parcelle de la chair, cette vivacité qui agite toutes les cellules prêtes à s’ouvrir, cette chaleur qui confine l’enveloppe calfeutrée. Et la pensée examine alors d’autres corps, celui- ci proche, qui s’éloigne un peu, cet autre-là encore différent mais déjà plus indifférent, et encore celui-ci connu mais inaccessible ou celui-là plus loin que loin à une distance qu’elle seule peut franchir. Cela ne lui fait pas peur et elle commence à tisser avec ce corps une toile d’abord légère qui s’étoffe à chaque fois qu’elle croise une autre pensée, d’un genre autre et qui de son côté examine son corps. Sur cette toile tissée à deux les mémoires se rencontrent, les cultures se croisent, les histoires s’installent. Les deux tisserands lestent leur voile de part et d’autre des envies qui les caressent et du désir qui les révèle. En même temps qu’ils parlent, ils s’échangent leur soif de vivre et l’apaisent. Désaltérées, les pensées reviennent à leur corps et les abandonnent pour leur permettre de faire ce qu’ils doivent faire, se réparer, se reposer, retrouver les forces nécessaires pour exprimer leur pensée, comme si c’était eux qui décidaient de vivre.
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