Tout commença chez le Père Magloire, trop fier d’avoir pu enfin acquérir un sachet de salades garanties OMG (On Mange Gratuit) qu’il allait s’empresser de semer dans son carré de jardin amoureusement fumé et bêché. Et c’est ainsi que commença l’invasion des laitues à laquelle se mêlèrent rapidement scaroles, frisées et même endives ! En deux jours, les plants dépassèrent plusieurs mètres de haut et se propagèrent aux alentours, semant la terreur. Le Père Magloire fut comprimé entre deux pieds, sa femme empalée par une endive qui surgit de terre à une vitesse incroyable. De la voir ainsi levée du fondement, lieu qu’il croyait impénétrable, rendit le pauvre homme un temps jaloux puis franchement hilare. Les salades qui l’enserraient, étonnées de cette jovialité, reculèrent d’effroi et l’abandonnèrent à son destin tragi-comique.
Pour ma part, m’apprêtant à couvrir l’événement pour la Gazette du Jardinier (hebdomadaire gratuit et pourtant aux conseils précieux) je n’eus la vie sauve que... mais laissez-moi vous raconter :
" Depuis quelques jours je souffrais d’un furoncle sur la paume de la main droite et c’est là que, poussé par le vent, un pore de ce légume tueur vint se ficher. Très vite, je fus cloué au sol par sa croissance spontanée. J’allais rendre le dernier soupir lorsqu’un boucher de passage se précipita. En trois gestes, il me libéra. Son premier coup de couteau me fit abondamment saigner, le deuxième me trancha l’avant-bras, le troisième hacha le légume. J’étais libre d’apprendre à écrire de la main gauche ! "
Voilà pour ce qu’il m’arriva et revenons à l’actualité vue de ma fenêtre. En une semaine, les maisons furent bousculées, les routes défoncées. Rien ne pouvait arrêter l’extraordinaire pousse végétale. Une endive atteint douze mètres de haut, une laitue gardait en son cœur une église dans laquelle des paroissiens priaient encore à genoux, sollicitant le ciel de leur venir en aide et promettant de ne plus être végétariens s’ils s’en sortaient vivants. Affamés, on dit qu’il dévorèrent leur curé et un enfant de chœur. Pour sa part épargnée (on dit qu’elle était affreusement laide, la faim a ses limites) une soeur témoignera lorsque tout reviendra dans l’ordre.
Puis apparurent les limaces ! Mais permettez que je m’arrête un instant car j’en tremble encore. Ce que l’on prit dans un premier temps comme une intervention divine (les prières sont toujours exhaussées, le tout étant de bien préciser ce que l’on souhaite sinon Dieu et ses saints s’emmêlent) s’avéra aussitôt bien pire que le mal. Mais tout cela est une autre histoire.