La nuit s’étire tel un félin, me lance un regard indifférent, se retourne et va voir ailleurs, de son pas mesuré, sans se préoccuper de moi. Elle n’a pas que ça à faire, la nuit. Elle a sa vie à vivre et me laisse la gamelle pleine de cafards.
Cela grouille et se débat pour essayer de s’échapper, mais les parois sont lisses. Ils retombent et repartent aussitôt à l’assaut, puis recommencent.
A force, ils finiront bien par crever d’épuisement et moi je pourrai aller me coucher. Parce qu’avec ces trucs répugnants qui pullulent, le sommeil est en fuite. Quelque part dans une nébuleuse inconnue.
Et l’autre ? Je l’ai complètement oublié ! Où est passé mon greffier ? Il n’a même pas touché à son bol de lait lunaire.
Sans doute encore entrain de courir après l’aube. Toujours à la recherche d’une allumeuse celui-là.
Je le piste du regard là-haut. Il fait ses griffes sur la couverture noire vieille de plusieurs milliards d’années et les trous qu’il y tricote laissent filtrer quelques lueurs. Mais ce ne sont que des leurres.
Et hop ! un cafard a réussi à sortir de la gamelle.
Il a dû en profiter pendant que je suivais la marche féline des heures qui maintenant jouent avec une proie : une absurdité désailée qui garde ses yeux grands ouverts et me scrute malgré ses blessures.
Il est agile le cancrelat fugueur. Vif comme un tueur de mythe. Il est allé se réfugier dans un coin de ma mémoire, attiré par l’odeur de souvenirs en décomposition. Mais il en reste encore des tas qui s’agitent et voudraient bien fuir leur sort.
Sisyphe était-il un cafard ?
J’aimerais moi aussi me débarrasser de ma boule.
Celle qui remonte des tripes jusqu’à la gorge puis retombe car la paroi est lisse.
Pas moyen de sortir de la gamelle.
Attendre que la nuit replie sa couverture de pacotilles et remballe ses cancrelats lorsque le greffier du temps m’aura chopé et ramené l’aube.
Je me demande dans quel état elle va être après être passée entre ses dents de prédateur.
Et tant pis pour le sommeil fuyard, il reviendra peut-être demain soir de son évasion astrale.