Un rêve chatoyant et magique vient d’être anéanti par un bourdonnement électrique horrifique. J’ouvre mes yeux et observe mon réveil matin. Le volet s’ouvre et une pile de vêtements propres est posée sur le tabouret près de l’armoire. Mes pupilles se contractent au premier et dernier duel avec les rayons solaires.
Je me lève puis m’habille. La sensation de la soie synthétique me fait frémir, j’adore. J’enfile des vieux chaussons et je passe la porte pour me diriger au rez de chaussée. La chaîne Hi-fi nourrit la salle à manger d’une douce musique des fêtes. L’arbre de Noël trône devant la cheminée rustique avec à ses pieds des cadeaux enrobés de somptueux papiers cadeaux. Je regarde mes parents avec un sourire narquois puis je me jette sur le contrebas du sapin.
Le premier paquet est attrapé et sa carcasse arrachée par mes mains bestiales. Je déballe un à un mes cadeaux, je découvre au fur et à mesure des vêtements odorants, un livre à hologrammes… Puis, il reste un objet non ouvert.
Les prunelles de mes yeux sont étincelantes et mes frêles mains se saisissent de la cible convoitée. J’exécute le même geste que l’orpailleur avec sa bâtée pour tenter de deviner le contenu. Aucun bruit caractéristique. Mon père se glisse au dessus de mon épaule droite et me regarde. Je commence à déchirer l’emballage et une boite bleue fait lentement surface. Le visage rempli de joie et ébahi, je me tourne vers mes parents pour les remercier du cadeau. Un futuroscope.
J’ouvre le carton et sors le tube d’acier. Mon père prend la notice une minute et la lit. Je reste assis et j’attends ses explications et feu vert pour utiliser le futuroscope. Ses yeux s’agitent au dessus du papier recyclé et ses lèvres remuent doucement. Je caresse le long tube rugueux en métal et j’examine les détails de cet insolite cadeau.
J’attrape le Futuroscope de mes deux mains et j’entre mes yeux dans l’orifice. L’engin se met à ronronner et mes muscles tressaillent. La machine pénètre dans mon esprit vierge et propulse mon âme à travers un kaléidoscope enchanteur.
L’essence mentale est dissoute par des impressions de souffrances infâmes et de plaisirs, dignes de la plus dur des drogues. Des rêves naissent de ce chaos psychotique artificiel et peuplent les éclats de mon âme. Je vois ma vie, telle qu’elle a été. Je perçois, aujourd’hui ce que je suis. Mon enveloppe corporelle prend vit et vieilli devant mon esprit fantomatique et désorienté. Je la vois grandir, vieillir et faire sa vie, ma vie. Toute son évolution est offerte à mes yeux. Je rêve de ma vie, mon futur s’offre à moi, ici. Je me vois faire des études à l’université de la ville puis occuper un poste de cadre à la Tozatio Compagnie. Me marier à vingt sept ans, avoir deux enfants... Perdre une dent à une compétition de tennis à vingt deux ans. Toute ma vie s’est déroulée en détails.
Mon cerveau est plongé dans une brume putride et mon esprit ne s’évade plus dans les plaines chaotiques des désirs et plaisirs interdits. Le futur, mon avenir, n’a désormais plus aucun secret pour moi. Il correspond parfaitement à mes désirs comme prévu. Je regarderai dans ce tube chaque année, afin d’être mieux guidé dans ma vie. Je reprends mes esprits et je sors d’un coma futuroscopique.
L’engin grésille et tremble. Un petit bip glousse au fond des entrailles d’acier du tube gris. Mes parents me contemplent, comme satisfait.
L’adolescent de quinze ans se relève, aidé par ses parents. Ils s’installent tout les trois dans la cuisine pour prendre un petit déjeuner copieux à base de céréales de la Lune. Le futuroscope transmet les aspirations du jeune homme à un serveur central afin de mieux le conditionner dans ses désirs à la prochaine léthargie futuroscopique pour qu’ils coïncident avec ce que la société va gracieusement lui offrir comme existence.