1 - La Soustraction
Ils sont arrivés juste au début des moissons,
A l’heure où sur le zinc s’alignent les boissons ;
Tout d’un coup, dans le ciel, des vaisseaux, mille et cent,
Ont plongé leurs épées dans le soleil de mai,
Le soleil qui descend sur les champs parfumés,
Et qui a basculé dans une mer de sang.
On disait que c’était des proto-crocodiles,
Des monstres de l’ancien temps tout d’écailles couverts,
Robinsons de l’espace en quête d’un asile,
Qui sifflaient en parlant et qui mangeaient des vers.
Monstres en vérité, tout habillés de vert,
Soldats blonds aux yeux pâles qui dévastaient les villes.
Soldat pâle aux yeux clairs qui décime les foules !
Dans les champs, sur les routes, hommes - femmes fuyaient ...
Sous les ponts, dans les caves, l’humanité traquée
Courait se réfugier, en position fœtale,
Attendant en tremblant que tombe le coup fatal.
Les rares qui résistaient à l’horreur infernale
Se sont évanouis dans un éclair en boule.
D’autres, plus nombreux, certains par conviction,
Parfois au nom de Dieu ou bien de la Nation
Et les plus respectables par seule lâcheté,
Parlaient de pactiser, tâchaient d’amadouer
Les soldats sans regard qui avançaient par paire.
Mais ceux-là disparurent tous de sur la Terre.
Seuls furent épargnés, allez savoir pourquoi,
Les enfants de partout, les esclaves en Afrique
Les petits hommes noirs qui vivent dans les bois
La faune tout entière, sauvage ou domestique
Et par erreur sans doute ou hasard ironique,
Deux Juifs et six Arabes qui se firent la guerre.
Puis les Visiteurs quittèrent notre Terre...
2 - Les Divisions
Douze générations après la Soustraction,
Héritiers des enfants, des pygmées, des esclaves,
Aux yeux gris, aux yeux bleus, aux yeux noirs, aux yeux graves,
Tous recommencèrent à former des nations
Et ce fut le début des grandes Divisions.
Le Nord contre le Sud, régions écartelées,
Banlieues sinistres, hôtels particuliers,
Grands contre Petits, Clairs contre Foncés,
Esclaves et Affranchis, Hommes contre Femmes,
Faucille contre marteau, lame contre lame.
L’homme revivait dans le fracas des armes,
S’abreuvait à nouveau aux fontaines de larmes.
3 - La Multiplication
Les générations passèrent et l’homme s’éleva
Son esprit aiguisa, son aspect transforma.
Des valets formidables, machines impensables
Créèrent avec lui des humains modifiés,
Des androïdes blonds aux yeux clairs capables
De remplacer leurs maîtres et se multiplier.
Mais l’homme vivant en paix, finit par s’ennuyer
Et un jour fatigué, se laissa disparaître ;
Nu enfin, libéré, il put monter au Ciel.
Il laissa ses esclaves sans Dieu ni maître,
Il les abandonna à leur bio-logiciel ;
Et ceux-ci poursuivirent leur inutile tâche
En se multipliant sans aucune relâche,
Perpétuant l’image trouble du Fils d’homme,
Elevant pour lui des temples dignes de Rome,
Espérant toujours qu’enfin Il reviendrait
Et surtout ses enfants, avec qui ils jouaient...
4 - Le Résultat
Un beau jour cependant, ils furent trop nombreux
La terre s’effondrait sous leurs pas trop pesants ;
Le soleil enfumé commença de bleuir ;
Les animaux se turent avant de mourir.
Le robot pria l’homme, qui ne l’exauça pas,
De renaître au jardin, revenir sur ses pas.
Alors, il décida d’aller chercher son dieu
Dans l’océan du temps invisible à nos yeux.
Il chargea ses vaisseaux, cap sur le passé,
Car de ce démiurge il fallait se venger.
Ils sont arrivés juste au début des moissons,
A l’heure où sur le zinc s’alignent les boissons.
Avril 2202