Assis dans son salon, il relisait les “Histoires Extraordinaires” d’Edgar Allan Poe.
La fenêtre grande ouverte dispensait une vague fraîcheur nocturne après une journée d’été caniculaire comme la Provence sait en mijoter avec ses plantes arômatiques.
La lumière de la seule lampe de chevet qu’il avait allumée pour lire attirait toutes sortes de créatures volantes : des papillons de nuit, des libellules égarées, des moucherons en goguette et d’autres aventuriers ailés non identifiés.
Cela ne le gênait pas et ces visiteurs lui tenaient même un peu compagnie.
Il redoutait cependant les guêpes maçonnes qui avaient élu domicile dans le coffrage du volet roulant.
Par le passé, alors qu’il arrosait ses géraniums sur son balcon, l’une d’elles lui avait accordé les faveurs de son dard, seule les femelles en étant pourvues.
Une élégante danseuse qui injecte son douloureux venin en silence après une représentation trop vibrante pour être honnête.
Avec ses allergies, il avait failli y perdre sa carte vitale.
Et pour en obtenir une nouvelle, les démarches prennent une éternité.
Mais, à cette heure tardive, elles devaient en principe rêver de nectars dans leur nid de terre mâchée.
Captivé par sa lecture, telle une mouche prise dans une toile d’araignée, il était plongé dans l’histoire d’un train fou lancé dans la nuit à pleine vitesse qui, après être passé à toute allure dans une gare sans s’arrêter, n’avait jamais franchi la suivante. Volatilisé, envolé. C’était tellement bien décrit qu’il avait l’impression de voyager dans ce train.
Coïncidence, il devait précisément le prendre le lendemain soir pour aller voir sa vieille mère à Paris.
Sa lecture fut interrompue par un vrombissement qu’il ne connaissait que trop.
“Non, s’était-il dit, ce n’est quand même pas le train disparu”.
Il avait alors réalisé l’absurdité de sa réflexion, mais quand on est happé par l’irrationnel, on finit par complètement dérailler. Pour se remettre sur la voie de la raison, cela peut aussi parfois prendre une éternité.
N’étant vêtu que d’un caleçon à cause de la chaleur, il réalisa qu’il était totalement à la merci de l’empoisonneuse et fut pris d’une peur panique.
Il bondit sur ses pieds, alluma le lustre et se mit à chercher l’intruse du regard en pensant que c’était vraiment de la persécution.
Un guèpe n’est pas une créature de la nuit, tout de même.
Celle-là devait être une fêtarde ou une insomniaque, sûrement en quète d’un coup venimeux.
Et il fallait que ça tombe encore sur lui.
Encore, car son ex-compagne de voyage l’avait épuisé dans toutes sortes d’activités nocturnes. Une sacrée locomotive, infatigable noctambule qui ne faisait halte dans aucune gare.
Le “ In” et le “Off”. Quel festival ! Impossible de profiter de moments tranquilles à deux. Ne pouvant plus suivre la cadence, au bout de quelques années il avait fini par sauter du compartiment, la laissant poursuivre seule son chemin haletant.
Furieuse, elle l’avait menacé des pires représailles. “ Tu me le paieras ! ” lui avait-elle hurlé. Quel poison !
Il imagina que ce pouvait être elle qui revenait se venger, déguisée en guèpe, avec sa taille. C’était plus conforme à son physique que les formes callypiges d’une locomotive à vapeur.
Dans un éclair de lucidité, il se dit qu’il fallait vraiment qu’il change ses lectures car il commençait à délirer en mélangeant tout.
Debout dans le salon illuminé, il avait beau scruter en pivotant tel un radar affolé, impossible de voir l’ennemie vrombissante.
Aucune trace de la guêpe. Pas le moindre fugace passage, quel que soit le niveau. Elle n’avait pas disparu, tel le train, puisqu’il percevait parfaitement les vibrations de ses déplacements.
Une rapide, une expresse même, qui passait à une si grande vitesse qu’elle en était invisible.
Affolé, de ses deux mains il se boucha les oreilles.
Puisqu’il ne parvenait pas à voir le danger fantôme mais bien présent, il fallait qu’il teste son audition afin de s’assurer qu’il n’était pas victime d’une phobie.
A sa grande frayeur, non seulement il continuait à entendre le bourdonnement, mais il s’accélérait et se rapprochait de lui en cercles de plus en plus serrés tandis que la menace demeurait toujours invisible.
C’est alors que, soudainement, le bruissement d’ailes cessa. Il eut juste le temps de se dire “ ça y est, je vais me faire piquer ” qu’il ressentit une douleur perçante.
Pris d’un vertige qui lui donna la sensation de basculer, en une fraction de seconde il s’affaissa lourdement.
Epilogue :
Dans la rubrique “faits divers” du quotidien régional, on pouvait y lire, vingt-quatre heures plus tard, qu’un appel à témoin était lancé concenant le corps non identifié d’un homme retrouvé mort sur le ballast de la voie ferrée, uniquement vêtu d’un caleçon.
L’article indiquait que la fenêtre du compartiment-couchette de l’infortuné avait été retrouvée grande ouverte.
Le journaliste précisait que la gendarmerie chargée de l’enquète soupçonnait un assassinat.
Mais ceci n’a probablement aucun rapport avec cela.
Ou alors il s’agit d’une toute autre histoire.