Je me promenais dans les champs et regardais les paysans faucher. Le geste du faucheur a quelque chose d’auguste, oui je sais, d’autre avant moi l’ont dit à propos des semeurs… Chacun son truc.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé, moi si. Ca n’a peut-être l’air de rien mais je me rappelle avoir à plusieurs reprises planté ma faux, rien de tel pour tordre la lame.
Je me promenais donc et j’avisai sur le bord du chemin, assise sur une grosse pierre, une petite vieille. Elle semblait plus que fatiguée, abattue. Je remarquai à côté d’elle une faux.
Faucher, c’est un travail d’homme ! Qui pouvait bien exiger de ce petit bout de femme un tel labeur.
Je lui adressai la parole, m’inquiétai de sa santé, lui proposai à boire. Elle me regarda étrangement, un regard dur dans un visage buriné mais dépourvu d’animosité.
J’avais laissé mon vélo un peu plus loin. J’allai en courant le chercher et revint pour m’occuper de la vieille.
Il ne fut pas facile de la faire monter sur le porte-bagage, mais finalement, une heure plus tard nous étions dans la salle d’attente du médecin du village. Un vieil homme fort sympathique.
Nous étions seuls dans la petite pièce et la vieille n’avait encore pas décroché un mot.
Le médecin entra, me vit et me demanda ce que j’avais pour venir le voir. Je lui montrais la vieille lui faisant comprendre qu’elle ne parlait pas et qu’elle était certainement un peu dérangée.
Le docteur la fit entrer dans son cabinet et me salua. Je sorti, enfourchai mon vélo et décidai de rentrer, non sans passer voir Bébert un copain, qui habitait sur mon chemin.
J’ai dû passer une bonne heure avec Bébert, il n’y avait pas, bien sûr, de console vidéo, mais on ne s’ennuyait pas pour autant.
Peu après être reparti de chez Bébert, pédalant fièrement sur mon randonneur, je vis sur le bord de la route la petite vieille.
Je m’arrêtai. Elle semblait en meilleure condition, toujours aussi vieille mais requinquée et portant gaillardement sa faux.
Merci petit, merci pour tout. J’étais attristée que tu m’aies vue. Je ne repars jamais les mains vides, prends bien soin de toi petit.
Un peu intimidé, (je ne pensais pas qu’elle parlait), je lui fis un petit signe de tête, marmonnai un « Ce n’est rien » et repris mon chemin.
Rapidement j’éprouvai le besoin de me retourner. Elle avait disparu.
Ce n’est que le lendemain que j’appris le décès de ce pauvre docteur. Et ce n’est que quelques années plus tard qu’un certain rapprochement me glaça le sang.
Un bienfait n’est jamais perdu. Ca dépend pour qui !