Il est curieux de réfléchir à cette médecine, justement ! A vrai dire, il est plutôt curieux qu’il me faille être en examens (et commencer vaguement à lire mes cours) pour me poser une fois la question : qu’est ce que mes études vont faire de moi ?
Je m’explique. Depuis mon enfance, l’envie dévorante d’apprendre à soigner les gens guide chacun de mes choix et de mes projets d’avenir ; c’est décidé, avais je un jour dit avec conviction a ma mère, je serais médecin. Je me rappelle qu’elle avait approuvé gravement raconté ça le sourire au lèvres à un de ses amis (qui devint par la suite un de mes profs, par ailleurs). Je devais avoir huit ou neuf ans à l’époque...
Actuellement, je suis sur le point d’entamer ma dix neuvième année, et de terminer par là même ma première année de médecine. Avec la candeur de la jeunesse, je m’imaginais chercheuse, urgentiste, héroïne même sans doute ! Je découvre à présent avec stupeur le long chemin qui m’attend, non pas avant de porter la blouse blanche (il faut croire que nos professeurs et autres assistants n’ont qu’une confiance limitée en notre capacité à effectuer un titrage sans nous renverser de l’acide dessus, ce en quoi ils n’ont pas tout a fait tort d’ailleurs) mais avant de la mériter.
Et, ma foi, je dois bien vous avouer que je suis tout bonnement morte de peur ! Morte de peur et par la même occasion frappée par ce sentiment bizarre d’absurdité devant ce chemin qu’il me reste à achever.
Comprenez moi bien, je ne parle pas ici de la matière à ingurgiter à une vitesse a peu près comparable à celle de la lumière (encore que je ne saisisse pas bien l’utilité de calculer combien de tours le yoyo aura t il fait sur lui même avant de toucher le sol et quelle sera l’énergie potentielle qu’il contiendra à tel point de sa trajectoire, mais c’est autre chose et je m’égare) mais bien de la teneur de l’apprentissage mental et systématique, de ce « formatage » de notre cerveau qu’on nous impose.
Je crois que nous avons tous (ou presque) pratiqué cette science barbare que forment les probabilités et la statistique. Je suis certaine que certains parmi vous n’ont eu aucun mal à assimiler ces procédés étranges, mais que d’autres (comme moi, pour mon plus grand malheur) ont ragé, pesté, sué sang et eau devant les arcanes obscures des combinatoires, normales, binomiales et autres concepts sauvages.
Je vous avoue humblement qu’a force de tirer à pile ou face la couleur de la xième boule qui sortirait de l’urne (et de me tromper systématiquement d’ailleurs, on dirait que le coup de la tartine et de la confiture ça marche aussi pour les pièces), je plantais là cartes, dés et urnes pour aller trouver la prof de math et m’entendre dire que, après tout, « l’esprit des stats on l’a ou on l’a pas. »
Je vous assure que, malgré toute mon affection pour cette femme exquise, aussi douce que la caresse furtive de la parabole sur l’axe des abscisses, j’eus toutes les peines du monde à ne pas lui enseigner la probabilité qu’on me juge coupable d’étranglement.
Bref, je m’égare à nouveau.
Je disais donc qu’il y avait ce sentiment perturbant et déroutant qu’on entre dans ma tête et qu’on applique à chacune de mes pensées un schéma prédéfini et prédécoupé, qui n’admet aucun écart, aucune saute d’humeur. A l’image d’une sorte de machine, en fait, une machine faite pour soigner d’autres machines...
Etrange sensation, réellement, que de sentir sa perception du réel se réduire.
N’est ce pas cela aussi, perdre ses rêves ?