Je crois que c’est la première fois de ma vie que j’ai la vague impression de comprendre l’émotion qui étreint les femmes enceintes devant leur enfant (enfin, à ce stade là, un vague magma informe) sur les écrans du gynécologue. Je veux dire, je n’avais jamais bien saisi leurs cris émerveillés, leur ébahissement. Ce n’était que des volutes bizarres sur un écran pourri.
Eh bien, voilà quelques semaines, nos ingénieux professeurs de biologie nous concoctèrent (avec amour) un de ces savants Travaux Pratiques, dont la juteuse odeur n’a en général d’égale que la moyenne de nos notes. Je ne vous fait pas plus languir ; nous allions disséquer un œuf de poule. Oui, nous fûmes également… surpris.
Je vous fais grâce de nos difficultés à percer la coquille sans casser l’œuf (« pratiquez une incision transversale de manière à former une fenêtre ovale »), de nos désespoirs devant un jaune récalcitrant (comprenez que dénicher un embryon de poulet de 3mm de long dans une soupe de jaune d’œuf n’est pas le plus facile) et du nombre d’œufs que nous usâmes ; ce n’est pas de ça que je voulais vous parler.
Non, je voulais vous raconter quelques instants de cet émerveillement unanime que l’on ressent devant quelque chose de plus grand que nous, vous savez, ces émois qui nous étreignent quand le bébé s’éveille, la délicate étincelle, ce qu’ils veulent sauver, tous, ce qu’on voudrait ne jamais perdre, ne jamais… Il paraît qu’on appelle ça la vie.
Chacun je suppose découvre cela tôt ou tard ; moi, ce fut plutôt tard, dans le courant de ma vingtième année, devant la loupe binoculaire, devant un embryon de poulet. Son cœur battait.