Sur l’écran, deux ombres, au fond une maison engourdie, un homme, une femme, se rencontrent, se souviennent, se reconnaissent, se palpent, s’ouvrent, se ferment, se rejoignent et s’éloignent...inéluctablement.
C’est un scénario vieux comme le monde, plein de plis, de replis et de sentiments sinueux qu’ils cherchent à débusquer patiemment.
Le tout accompagné d’une musique ténue dont les notes, lorsqu’elles éclatent, portent déjà leur poids de nostalgie...
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Loulou ? Comment se fait-il ?
Vous vous souvenez ? Je vous avais prévenu que je débarquerais un jour par surprise dans votre jardin sauvage, voir si vous passez toujours le plus clair de votre temps à rêver sur la terrasse, à la saison des pluies... .
Je m’en souviens Loulou, c’était... .
Qu’importe, c’était il y a trop longtemps, mais je n’ai jamais oublié... Etes-vous, un tant soit peu, content de me voir ?
Content ? Mais Loulou, posez là votre main et voyez comme mon cœur bat !
(sur le ton de la plaisanterie) Ah bon ? Il ne battait plus ?
Si, bien sur que si, mais au rythme des marées, lentement, une longue hibernation, avec de temps en temps un ressac plus fort, suivi d’une nausée, la crainte qu’il ne fût trop tard... l’absence aussi, la vôtre, bien entendu, mais c’est ce que nous avions convenu, l’absence et la nostalgie... .
Je ne suis pas certaine de vous suivre
Rien d’important, Loulou c’est juste du temps qui passe, c’est douloureux... Mais vous voici, je pensais précisément à vous, et vous voici face à moi, si proche de moi, comme dans un rêve, surgie de nulle part, d’un passé presqu’oublié, vous savez, ces souvenirs auxquels on renonce...
Je suis, Loulou, littéralement bouleversé, noyé de sentiments divers, d’étonnement, d’incrédulité, de peur et d’envie, vous ici, proche, si proche de moi, un rêve éveillé, qui prend formes voluptueuses, sensuelles, ivre de votre regard, de ce sourire naufrageur... ...une première fois identique à la première... .
Décidément ! Vous n’avez pas changé, toujours cette démesure, ce doux-délire... Je retrouve vos yeux perdus, je vous retrouve là, intact, comme si vous ne m’aviez jamais quittée. Et c’est vrai, vous avez toujours été là, invisible, au creux de ma poitrine, intact et tellement vivant... Vous souvenez-vous de cette conversation que nous avons eue un soir de pleine lune il y a quelques années ?
Flou enchaîné, couleurs sépia ambré, flash back.
Je comprends votre décision, Loulou, que comptez-vous faire maintenant ?
Et vous ? (un peu énervée) Comptez-vous vraiment passer votre vie à la rêver sous la pluie, étourdi tour à tour par le bruit et l’air chargé d’ozone ? Quand cesserez-vous, doux rêveur, de vous aveugler dans la lumière blanche des nuages ou celle de vos fantômes ?
D’abord, je ne suis ni doux, ni rêveur, et puis mes nuages sont noirs... Mais en les contemplant il m’arrive d’y distinguer certains soirs la lumière des rugos sur les collines de Bujumbura, c’est là que je vais partir m’installer Loulou, à l’ombre bleue des kapokiers, retrouver le rire des enfants, ces rires qui me manquent tant... .
Comment cela ?
Vous voyez ce monticule sur lequel nous sommes assis ? C’est là que je mettrai la maison, pas trop grande, blanche et fraîche, cette longue racine sinueuse est le chemin qui mène au lac Tanganyika. Le long des pentes jusqu’à ces grosses pierres, ce sont les plantations de manioc, de coton et d’arbres fruitiers. Cet alignement de roches, les rugos encadrés par les kapokiers... .
Ah bon ? Il s’agit d’une exploitation agricole ?
Si l’on veut oui, il s’agit surtout d’aider mes frères à vivre dignement en tirant parti de cette nature généreuse, mais venez voir la maison.
Vous savez quoi ? Elle commence à se dessiner, elle est belle... .
Regardez, je suis là sur la terrasse... .
(lui coupant la parole) Et moi, où suis-je ?
Vous ? Mais vous êtes là, toute proche de moi, vous, à couper le souffle et pourtant nécessaire comme l’air... Sans vous ma vie s’égare, ma vie s’échappe... .
Ne dites plus rien, embrassez moi... .
Les couleurs reviennent sur un silence pesant...