Rencontres du troisième type

Improbables rencontres... Chapitre 1
Longtemps, je me suis couché de bonne heure...
C’est par cette courte phrase que Marcel Proust commence « Du côté de chez Swann », le premier volume de « A la recherche du temps perdu ».
Pour ma part je pourrais écrire... Longtemps, j’ai bénéficié d’un sommeil profond !
Hélas, ça n’est plus le cas et il ne se passe pas une nuit sans que je m’éveille aux alentours de 3h du matin. Je descends alors très souvent me désaltérer et parfois je reprends la lecture de l’ouvrage que j’avais entre les mains la veille au soir ...
Juste quelques pages avant de retrouver mon lit et la position allongée.
Il y a quelque temps, alors que je lisais ces pages nocturnes dans le plus grand des silences il m’a semblé entendre une conversation tenue à voix basse.
Ma chienne ne parle pas et s’il m’arrive de parler seul c’est plutôt dans la journée en accomplissant une tâche quelconque...
Pas vraiment inquiet mais plutôt curieux de trouver un sens à ce phénomène, j’ai fait le tour, hall d’entrée, salle de bains, cuisine, salon, salle à manger pour lever le doute sur une présence éventuelle...
Rien ni personne ! Et c’est au moment où j’allais remonter côté couchage que j’ai entendu provenant de l’une des trois bibliothèques où sont rangés mes bouquins, une voix qu’il m’a semblé reconnaître :
 Ecoutez d’Ormesson, j’aime beaucoup votre œuvre littéraire mais depuis hier au soir savez-vous que vous me pesez sur la tête !
Je n’en croyais pas mes oreilles mais c’était pourtant les intonations du Général de Gaulle...
M’approchant du meuble en question je m’aperçus que, la veille au soir, j’avais malencontreusement posé « Chroniques du temps passé » de Jean d’O sur « Mémoires d’espoir » du Général...
Pour confirmer que je ne rêvais pas la voix de Jean d’O s’éleva à son tour...
 Mon général, mais que faites-vous donc ici ? Permettez-moi de vous présenter mes respects et bien entendu mes excuses... Je vais essayer de me faire le plus léger possible mais tout comme vous je suis prisonnier de ce bouquin.
Notre « logeur » n’est sans doute pas un homme à précaution ! Espérons pour votre confort qu’il me reprendra en mains le plus rapidement possible.
 Oui, bien, n’en rajoutons pas, j’en ai vu d’autres ! Savez-vous que dans cette bibliothèque logent tous les Prix Nobel, y compris Churchill avec qui j’ai parfois de longues conversations... Nous avons depuis longtemps enterré la hache de guerre et comme il a définitivement rangé ses cigares l’atmosphère est respirable.
J’y rencontre aussi de temps en temps quelques fidèles... Malraux et Bigeard entre autres !
J’ai durant des années résidé dans cette autre bibliothèque, celle que vous voyez à droite en entrant, où je me suis retrouvé coincé entre L’ingénue libertine de Colette et La vie sexuelle de Catherine Millet, à mon avis une erreur de casting...
Mais vous dont j’ai beaucoup apprécié, entre autres, « Au plaisir de Dieu » que faites-vous en cette galère ?
 Ah mon général, moi qui ai parlé de la mort toute ma vie sans trop y croire, qui de plus ai siégé parmi les Immortels, j’ai tout de même fini par franchir le pas ! Ultime pirouette j’ai réussi à publier un dernier bouquin après mon départ... Et moi je vis toujours ! C’est le titre de ce dernier ouvrage... Reste que cloîtré dans ce meuble, l’Italie, la Méditerranée, le soleil et les femmes me manquent cruellement.
 Je vous comprends d’Ormesson, je vous comprends ! Moi c’est tante Yvonne que j’aimerais avoir à mes côtés. Hélas ces lieux de mémoire que sont les bibliothèques n’admettent que des écrivains ou de pseudos écrivains... En cherchant un peu vous trouverez même Giscard que vous aviez je crois accueilli Quai Conti ! Et tant d’autres pour lesquels on a malheureusement sacrifié de magnifiques forêts pour en faire de véritables navets...
Bien, il est tard mais nous aurons tout le temps de nous revoir ! Si vous pouviez éviter de ronfler ça m’arrangerait bien car j’ai le sommeil léger. Bonne nuit, Comte Wladimir !
 Bonne nuit mon général ! Ravi de vous avoir retrouvé ici...
Ce fut ma première et improbable rencontre ... ou alors un simple rêve !
Mai 2019