Ainsi, elle était brisée.
Brisée de corps, brisée d’esprit ; brisée de vie, brisée de cris, brisée de larmes et d’horreurs.
Ainsi, elle était éteinte.
Eteinte comme on souffle une bougie, éteinte comme s’étouffent les cris, éteinte comme chacune de ses vies, ce soir d’avril. Eteinte comme même le brasier, la fournaise, l’Enfer qui avait fini par disparaître, comme apaisé par les hurlements du vent, des pleurs et de la peur.
Bien sûr, ils disaient qu’elle avait eu de la chance. Après tout, elle était encore en vie, non ? Elle avait résisté à ces insidieuses ennemies, ces mortels baisers de la froideur du progrès, rayons de l’infiniment petit qui s’attaquait à ceux qui croyaient l’avoir vaincu, plié à leurs volonté. Elle avait survécu à l’Enfer, aux condamnés qu’on ne pouvait pas prédire, qu’on ne pouvait pas sauver, qu’on ne pouvait que regarder doucement mourir, pareils aux blés trop vite fauchés...
Vingt ans déjà. Elle s’en souvenait comme si c’était hier.
Oh, oui, elle avait eu de la chance. Elle s’était remariée, elle avait eu des enfants ; elle avait été heureuse, enfin peut être, près tout, qui sait ? Il n’y avait rien à regretter. Ne pas se retourner. Etre consciente de la « seconde chance » que la vie lui offrait...
Alors, pourquoi s’était elle sentie presque soulagée, quand le médecin avait soupiré, impuissant ? Pourquoi n’était elle pas épouvantée de perdre lentement ses forces, dévorées par la maladie, le cancer, ce dernier cadeau que l’explosion lui avait laissé ? Pourquoi n’avait elle pas peur de dire au revoir ?
Ils ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas ses sourires, sa gaieté, ses rires, sa sérénité, son absence totale de regrets. Ils ne comprenaient pas...
Elle, elle savait. Elle l’avait toujours su, quelque part ; elle était morte ce jour là, ce soir de printemps où même les oiseaux avaient cessé de chanter, où même l’eau du ruisseau s’était arrêtée de couler. Elle était morte. Mais ça, non, ils ne pouvaient pas le comprendre...
Et puis, comment expliquer à ceux qui nous ont aimé qu’ils n’étaient, après tout, qu’un épilogue ?