Ce jour de juin 1932 à Bigny-Vallenay, petite bourgade du Cher, Marguerite Bascoulard née Mulet, vint frapper à la porte de sa voisine un pistolet encore fumant à la main et lui annonça « J’ai tué le Vieux ! ».
Le Vieux c’était Léon, son mari, qu’elle venait d’occire par arme à feu au cours d’une dispute.
Léon au cimetière, Marguerite internée en hôpital psychiatrique, leur fils Marcel se retrouva bien seul et certainement traumatisé à vie ce qui explique peut-être son parcours futur. Ce fils, âgé de 19 ans, vint alors s’installer à Bourges où dans un premier temps il prit des cours de dessin chez un certain Monsieur Pinon. Sans domicile fixe déjà à l’époque, Marcel vivait en squat dans le quartier Avaricum de la vieille ville et n’ayant guère de ressources il se mit à peindre le Vieux Bourges avec pour sujet principal la célèbre cathédrale. Petit à petit il se laissa aller jusqu’à devenir un clochard ; sale, hirsute, avec des cheveux qui n’avaient jamais vu ni peigne ni coiffeur il se promenait en ville chaussé de savates éventrées, les jambes toujours nues et habillé en guise de manteau d’une éternelle blouse grise laquelle ignorait comme son propriétaire ce qu’étaient l’eau et le savon !
C’est dans cet état que j’ai découvert et côtoyé Marcel Bascoulard de 1962 à 1965, époque à laquelle je résidais à Bourges d’où était originaire ma femme ! Marcel ne vivait que pour et par son art ; il peignait et dessinait au fusain de petits tableaux qu’il vendait à la sauvette. On le rencontrait fréquemment dans les rues poussant devant lui un genre de tricycle qui lui servait aussi bien d’atelier d’artiste que de moyen de locomotion mais que n’importe quel ferrailleur aurait refusé.
Au fil des ans il était devenu une figure typique dont les gens achetaient les créations plus par pitié que par admiration …et pourtant aujourd’hui son œuvre est reconnue, ses tableaux recherchés et à Bourges, rue Mirebeau je crois, figure même un buste de bronze à sa mémoire !
Je possède chez moi un de ses originaux, à l’encre, représentant …l’inévitable cathédrale, daté de Mai 48 et signé Bascoulard Mulet car il signait toujours du nom de ses deux géniteurs qu’il n’avait sans doute pas oubliés !
Marcel Bascoulard Mulet, artiste- clochard et SDF avant l’heure, continuera pendant de longues années après mon départ de Bourges à peindre cette ville qu’il aimait tant et puis, pour des raisons que j’ignore, il partira vers Asnières où il « résidait » dans la cabine d’un vieux camion avant d’être, lui aussi, assassiné en 1978 par un jeune marginal qui sera condamné à quinze ans de réclusion.
1913-1978 sont les dates qui figurent sur sa tombe au cimetière Saint Lazare, deux dates qui encadrent un destin hors du commun, le destin d’un homme pauvre pour ne pas dire d’un pauvre homme, aujourd’hui reconnu comme artiste et qui, poète à ses heures, nous a laissé cette phrase écrite deux ans avant sa mort qui en dit long sur ce qu’aura été son parcours :
« La vie est amère à qui la boit sans sucre ! »
Janvier 2008 JCJ