Ce nom ne vous dit sans doute rien… C’est pourtant le seul auteur ayant décroché deux fois le Prix Goncourt
En 1975 pour « La vie devant soi » sous le pseudo d’Emile Ajar, inconnu dans le monde littéraire, soit 19 ans après avoir été couronné pour « Les racines du ciel », cette fois sous son véritable nom de plume… Romain Gary !
Je viens de relire ce dernier volume qui fait partie de mon « Top 10 » personnel pour diverses raisons…
Tout d’abord pour Gary lui-même, l’auteur et son style mais aussi l’homme et son parcours…
Ensuite parce qu’il a situé ce roman au Tchad, un pays où tout comme moi il a vécu à peu près à la même époque, lui peu de temps avant l’indépendance et moi quelques années plus tard, soit au milieu des années 60.
Enfin et surtout parce que le personnage principal du roman, Morel, un écolo avant l’heure, prêt à tout sacrifier pour la sauvegarde des éléphants, me rappelle étrangement Anna, colonel des Eaux et Forêts et, lui aussi, ardent défenseur de la faune locale. Anna qui créa puis dirigea de nombreuses années durant la réserve de Zakouma située dans le sud du pays à la frontière soudanaise, Anna qui s’opposa à la grande chasse comme aux safaris dans "sa" réserve et mena une guerre sans merci aux braconniers de tous poils mais aussi à l’administration tchadienne quand elle faisait preuve de laxisme envers ces mêmes bracos…
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Atteint par la limite d’âge il avait dû quitter le Tchad et c’est sur la Côte d’Azur, où je l’ai revu une dernière fois quelques années plus tard, qu’il vivait sa retraite dans une villa baptisée… Zakouma ! Il m’avait confié chercher un éditeur pour publier ses mémoires… Il est mort depuis bien longtemps et aucun écrit signé de sa main n’est jamais paru… Dommage !
Laissons là Anna et revenons à Romain Gary qui écrivit la préface qui suit en 1980, l’année de la réédition des Racines du ciel. Voici quelques extraits de ladite préface…
« On a bien voulu écrire, depuis la parution de ce livre il y a vingt quatre ans, qu’il était le premier roman « écologique », le premier appel au secours de notre biosphère menacée. Je ne mesurais pas cependant moi-même, à cette époque, l’étendue des destructions qui se perpétraient ni l’ampleur du péril.
En 1956, je me trouvais à la table d’un grand journaliste, Pierre Lazareff. Quelqu’un avait prononcé le mot écologie. Sur vingt personnalités présentes, quatre seulement en connaissait le sens…
On mesurera, en 1980, le chemin parcouru. Sur toute la terre les forces s’organisent et une jeunesse résolue est à la tête de ce combat. Elle ne connaît certes pas le nom de Morel, le pionnier de cette lutte et héros de mon roman. C’est sans importance. Le cœur n’a pas besoin d’un autre nom.
J’ai situé mon récit dans ce qu’on appelait l’A.E.F, l’Afrique équatoriale française, parce que j’y ai vécu… Les temps n’ont guère changé depuis la publication de cet ouvrage .
La prise de conscience écologique elle-même se heurte à ce que j’appellerais l’inhumanité de l’humain. Au moment où j’écris, 1200 éléphants viennent d’être massacrés au Zimbabwe pour protéger l’habitat des autres espèces…
Quant à l’aspect général, universel, de la protection de la nature il n’a bien entendu aucun caractère spécifiquement africain : il y a belle lurette que nous hurlons comme des écorchés. C’est à croire que les droits de l’homme deviennent, eux aussi, des survivants encombrants d’une époque révolue : celle de l’humanisme. Les éléphants de mon roman ne sont donc nullement allégoriques : ils sont de chair et de sang, comme les droits de l’homme justement… »
Épilogue...Après avoir écrit cette nouvelle préface, Romain Gary s’est suicidé à la fin de cette même année 80 …
Très affecté par le décès de son ex épouse, Jean Seberg, un an plus tôt, rien ne dit que son suicide est lié à la dégradation de la biodiversité qu’il avait pourtant pointée du doigt à travers ce bouquin digne d’un lanceur d’alerte…
Gary a-t-il connu Anna à Fort-Lamy ? Anna a-t-il inspiré Romain Gary ?
Questions subsidiaires sans importance, sans réponses et sans effets sur la disparition des éléphants que l’on continue allègrement de massacrer 63 ans après la parution des Racines du ciel…
Septembre 2019