Le Major J ... c’est moi, arrivé à N’Djamena le mois précédent au titre de la coopération pour remplacer celui qui m’a précédé dans les fonctions de chef de hangar de l’Escadrille tchadienne…
Pour moi c’est un retour aux sources car ce hangar je l’ai quitté vingt deux ans plus tôt, en Décembre 1967, après un premier séjour mais cette fois sous les couleurs d’une escadrille française composée à l’époque de deux Dakota C47, un cargo pour ravitailler la base en fruits et légumes en provenance de Douala au Cameroun, un VIP pour le transport passagers dans ces régions d’Afrique centrale souvent dépourvues de pistes « carrossables » surtout en saison des pluies.
Le colonel S… m’attend à son bureau l’air inquiet… Je comprendrai pourquoi un peu plus tard… Peut-être craint-il pour son poste si la mission qu’il va me confier dans les minutes qui suivent tourne au fiasco…
Bref, voici le problème m’explique t-il… L’avion présidentiel de Hissène Habré est sorti de piste en manœuvrant avant décollage à Mongo… Par la même occasion en voulant se dégager au moteur le pilote a projeté quelques uns de ces cailloux qui ne manquent pas dans le secteur, provoquant une déchirure de la gouverne de profondeur... Le Président en a absolument besoin dans les jours qui viennent et les Américains de la Société Hercules chargés de la maintenance n’envisagent rien d’autre qu’un changement de l’élément endommagé après l’avoir fait venir des USA, soit plusieurs semaines d’indisponibilité…
Aïe, aïe, aïe ! Je comprends mieux la pâleur du colonel qui sitôt dit, sitôt fait, se décharge sur moi pour remplacer les Américains et peut-être aussi sauver sa place !
Voilà me dit-il comment je vois la situation… « Vous avez un avion Casa à votre disposition ainsi qu’un technicien du détachement Épervier spécialisé en technique RDC (Réparations, Dommages, Combats )… Départ immédiat, je compte sur vous et n’oubliez pas le caractère d’urgence car c’est l’avion présidentiel… Encore un détail ! Tout doit se faire dans la plus grande discrétion et bien entendu interdiction de photographier l’avion ! » Vous pouvez disposer Major !
Sans entrer dans les détails, gardés par des militaires en armes, trois jours furent nécessaires pour dépanner la bête en découpant, meulant, limant avant de poser une « pièce » sur la déchirure… afin de remettre l’avion en l’air. Les Américains applaudirent à la dextérité de mon copain chaudronnier mais refusèrent tout de même de rentrer par avion à NDJ ! Courageux mais pas téméraires…
Je réussis pour ma part à l’aide d’un mini appareil photos Ricoh 24x36, et malgré l’interdiction formelle du colonel S…, à tromper la surveillance des Goranes pour ramener quelques photos de l’opération Mongo.
Dès son retour à N’Djamena l’équipage disparut et ce n’est que bien plus tard que j’appris qu’ils avaient été expédiés sur Bardai, un coin perdu du Tibesti qui servait aussi de prison sans barreaux pour ceux qui avaient déplu au Président…
Pour ma part les quelques photos jointes à mon compte-rendu de mission faillirent provoquer mon retour immédiat vers la France…
On vous l’avait dit Major, de la discrétion et surtout pas de photos !
Epilogue… Un an plus tard, le 1er Décembre 90, Hissène Habré vidait les coffres des banques tchadiennes avant de se réfugier au Nord Cameroun à bord, a t-on supposé, de son C130 piloté par des Grecs !