« Ce jour-là, en Août 44, un dimanche après-midi je crois, il faisait chaud si je me rappelle bien. J’étais venu au bourg avec deux copains pour je sais plus quoi faire, et tout d’un coup un silence de mort s’est abattu sur nous. Plus un bruit, tu comprends, même les oiseaux ne chantaient plus dans les arbres ! Un peu comme si la vie s’était arrêtée tu vois ! Ah mais ça n’a pas duré longtemps... On les a vus arriver à travers champs et rentrer dans Lampaul... Les FFI que c’était mais y a pas eu de combat par ici car les Russes étaient sur la batterie de Pen Ar Pont, pas au bourg. »
Quand il m’a parlé des Russes j’ai cru qu’il perdait un peu la tête mais non... A cette époque c’était bien des Russes de la Wehrmacht qui tenaient ces positions avant de se rendre sans vraiment se battre à ce que j’ai appris depuis.
C’est aussi lui qui m’a raconté que les Allemands pêchaient à la grenade et qu’il valait mieux ne pas se balader dans les secteurs interdits si on ne possédait pas le fameux Ausweis attribué à seulement quelques pêcheurs et goémoniers.
Chaque fois que je m’arrête à l’embouchure du Ribl, un ruisseau qui finit sa course dans la baie des Trois Moutons à Lampaul-Ploudalmézeau, je me souviens de notre première rencontre mais aussi des suivantes, souvent au même endroit, car je l’ai très souvent revu durant ces dernières années se promener sur la dune ou sur la plage quand il en avait encore la force.
Agé de 96 ans, doyen du village, François Saliou a rendu l’âme en Juillet de cette année, emportant avec lui une tranche de l’histoire de Lampaul et de la région.
En Afrique il est coutume de dire qu’un vieillard qui meure c’est une bibliothèque qui brûle.
Dans la France profonde je crois que c’est encore un peu la même chose.
Combien de fois lui ai-je suggéré d’écrire, non pas ses mémoires mais au moins ses souvenirs... Ca le faisait sourire. « Tu sais, me disait-il, tout ça c’est du passé et les jeunes d’aujourd’hui ont mieux à faire que d’entendre ces vieilles histoires. » Malicieusement il ajoutait parfois... « Toi tu m’écoutes mais t’es plus tout jeune non plus ! »...
Ce matin je lui ai rendu visite au cimetière de Lampaul où il a rejoint son épouse disparue depuis quelques années.
Kenavo, François !