Un pan de mur en ruine, vestige d’une maison disparue, se dressait solitaire au milieu des champs.
Ses vieilles pierres, jadis si nobles et lumineuses, étaient devenues grises et s’effritaient au fil du temps.
Battu par tous les vents, meurtri par les gels d’hiver, desséché par les soleils d’été, il se disloquait peu à peu en gravats.
Quelle déchéance et quelle tristesse, lui qui avait connu tant de vie et de joie autour de lui.
Les rires des enfants qui jouaient dans le jardin, les dimanches ensoleillés où les parents et leurs amis déjeunaient gaiement sur l’herbe et l’admiraient parfois, la compagnie parfumée des rosiers qui poussaient à ses pieds, le chant des oiseaux dont il se faisait l’écho … mais c’était il y a bien longtemps.
Dès lors, il n’attendait plus que de disparaître totalement pour ne plus avoir à se souvenir ni souffrir. Mais il était robuste et il lui faudrait sans doute attendre encore de nombreuses années avant que son existence ne redevienne poussière.
Parfois, la nuit, il rêvait qu’un éclair l’abattait ou qu’un tremblement de terre l’engloutissait en mettant un terme à son malheur.
Un jour de printemps, quelque oiseaux vinrent se poser sur sa plus haute pierre et se mirent à chanter. Que venaient-ils donc annoncer ?
Aussitôt le mur reprit espoir en se disant qu’ils y feraient peut-être leur nid et qu’il se sentirait à nouveau utile et entouré de vie.
Mais non, après leur courte pause ils s’envolèrent et disparurent.
Ce qu’il n’avait pas vu, c’est que, dans le même temps, au hasard du vent, une graine errante fut déposée à ses pieds.
Quelques semaines plus tard elle germa.
Une fragile et minuscule tige blanchâtre qui portait une imperceptible feuille d’un vert très pâle.
Il ne pouvait voir la jeune pousse perdue dans les interstices de ses gravats.
Avec le temps, à l’abri de son mur, elle s’enhardit et prit de la vigueur, profitant de la protection du fantôme de pierre.
Lorsqu’elle commença à déployer sa vie en grimpant le long des premières pierres, il sentit sa présence ce qui l’emplit de joie. Mais il n’osait trop y croire en se disant que l’hiver prochain aurait raison d’elle.
Profitant du printemps, elle grandit rapidement et s’étoffa en s’agrippant de toute sa vivacité à son protecteur.
Vers la fin de l’été, le feuillage brillant était devenu épais et recouvrait les pierres presque entièrement. Vue de loin, la présence de ce pan de verdure isolé au milieu des champs avait quelque chose de surnaturel.
Et le mur se sentait renaître. Il retrouvait une raison d’être.
Il avait troqué sa grisaille et son aspect délabré pour une belle tapisserie d’un vert éclatant. Il aimait cette vie courageuse qui s’attachait à lui avec tant de force qu’il se sentait lui-même vivant.
Au début de l’automne, le temps fraîchit et il se mit à pleuvoir régulièrement. Mais sous son doux manteau, le mur n’avait plus froid et il restituait à sa protégée un reste de chaleur qu’il avait accumulée durant l’été.
Vint alors le temps des orages et tous deux tremblaient en craignant la colère des cieux.
Par une nuit d’une violente tempête, un éclair foudroya le pan de mur qui s’effondra presque entièrement.
Le lierre lança alors aux cieux :
" Votre colère est vaine ! Tant qu’il restera quelques pierres debout, je vivrai.
Je m’attache ou je meurs, telle est ma nature ".