"L’imagination est la folle du logis" Malebranche
Pour capturer cette sorcière, il faut se procurer l’arme adéquate.
Un arc celte que l’on peut trouver chez un camelot. Il doit être fait en bois de genièvre et pourvu d’une corde en boyau de traître du lac. Muni d’une poignée de vengeance, l’arc vous tétanisera de détermination afin que la prospérité revienne dans votre royaume.
Le choix de la flèche est primordial. Sa hampe doit être faite du métal d’excalibur avec une pointe de graal et un empennage en plumes de haume de chevalier. Tout ceci est disponible dans les bonnes quincailleries pourvues d’une table ronde.
Mais, vous demandez-vous, quel est le bon moment pour traquer la maléfique ?
Comme pour la pêche à la truite vagabonde où sont recommandés le coup du matin et celui du soir, pour la sorcière, c’est sur le coup de minuit. Evident mon cher Lucifer !
Reste à savoir en quel lieu elle peut être capturée.
Elle se chasse à l’affût, à l’orée du placard à balais. Un chien est inutile, de même qu’un chat noir ou un corbeau.
A défaut d’une telle collaboration, il est nécessaire de s’armer de patience muni de l’arc, l’inverse étant également approprié.
Il faut ouvrir lentement son placard à balais, sans bruit, quelques minutes avant minuit, se dissumuler soigneusement au coin de la porte et attendre.
Si votre femme se réveille et vous demande : « Mais Arthur, qu’est-ce que tu fous là à pareille heure ? » ( si c’est votre mari, il vous dira « Mais Guenièvre, etc. » ), après vous être assuré(e) que votre moitié n’est pas une sorcière déguisée, répondez que vous êtes à l’affût d’une idée pour votre prochain texte. Elle (il) vous croira car nul n’ignore que l’imagination est une folle qui fréquente les placards.
Immanquablement, sur les douze coups de minuit, une sorcière viendra récupérer son moyen de locomotion pour se rendre au concile de ses semblables où elles se distribuent, en ricanant sous une lune blafarde (image incontournable), celles et ceux qu’elles affigeront de leurs sortilèges avant que de s’envoler vers leurs victimes désignées. Invoquez Merlin si vous souhaitez en faire partie.
Si vous êtes un(e) chatelain(e), attention de ne pas confondre la sorcière avec votre employée de maison en quète d’une tête de loup, prise d’une soudaine envie nocturne de débarrasser votre plafond de ses araignées.
Lorsque vous percevrez le sinsistre bruissement de la malfaisante dans le placard, faites preuve de sang-froid et de rapidité pour ne pas manquer votre cible. En l’absence de lumière qui la ferait fuir, c’est à l’odeur méphitique qu’il faut viser juste dans le noir et dans la tête. Il sera important de vous exercer préalablement à ce tir aveugle dans votre cave ou votre grenier où pourrissent des rats crevés et autres cadavres d’écrits pas si exquis que ça.
A l’instant précis de sa venue, pas de pitié et aucune hésitation : une flèche bien ajustée dans le front et elle s’écroulera dans un râle puant. Mieux vaudra avoir préalablement dîné léger.
Quoiqu’il paraît qu’Edgar Poe et son épouse se gavaient le soir de victuailles très lourdes à digérer afin de faire des cauchemars qu’ils se racontaient le matin au réveill. Il suffisait alors à l’auteur de les coucher sur le papier. Où va donc se nicher la créativité !
Une fois la diabolique créature abattue, il y a lieu de la réduire en morceaux choisis. Si vous munissez votre nez d’un tampon d’ouate imprégné d’un parfum de poésie, vous serez moins incommodé(e).
Après avoir découpé le cadavre, donnez les morceaux en pâture à votre inspiration et mettez-vous à écrire.
A défaut, si leur odeur nauséabonde vous paralyse, jetez-les dans une grande corbeille à papier et déposez-la sur le trottoir des illusions pour le prochain passage de la benne à idées avortées.
Eventuellement, si vous êtes amateur de trophées inutiles, vous pouvez également la conserver entière et l’empailler. Désséchée, elle ne vous sera d’aucun secours pour vos élucubrations mais, suspendue au plafond de votre bibliothèque, vous pourrez l’admirer à loisir tel un impérissable témoignage de votre vaine capture.
Qui sait ? elle attirera peut-être l’une de ses folles congénères qu’il vous suffira de traquer à son tour pour les bonnes œuvres de votre logis.