Il y a bien longtemps de cela, dans une lointaine contrée, le peuple des arbres vivait en paix. La terre était fertile et la pluie ne tombait qu’en quantité nécessaire pour étancher la soif de chacun. Le reste du temps le soleil brillait et réchauffait de ses rayons ardents les troncs centenaires. La vie y était si douce que les oiseaux avaient élu domicile au cœur des feuillages denses dans un gai gazouillis mélodieux. Dans ce vert paysage régnaient l’harmonie, le respect et l’amour.
Mais par une sombre journée, un homme égaré et surpris par les torrents d’eau que déversait le ciel trouva refuge sous un grand chêne. Les arbres, peu habitués à la compagnie des humains se penchèrent pour l’accueillir avec chaleur et considération comme ils l’avaient toujours fait.
L’homme posa sa main sur l’écorce brune et la caressa un instant. Le vieil arbre considéra ce geste comme un signe de remerciement. Il ignorait que l’intrus ne faisait qu’évaluer la qualité de son bois.
Lorsque la pluie cessa, il courut d’arbre en arbre, le regard brillant et heureux à la seule pensée de ce que lui rapporterait ce paradis. Il prit alors congé de ses hôtes promettant, pour leur plus grand bonheur, qu’il reviendrait le lendemain.
Et c’est ce qu’il fit en effet. Quelle ne fut pas la joie de la forêt lorsque la silhouette amie se dessina dans le lointain !
Mais à peine arrivé, il sortit du dessous de sa veste une hache aiguisée et entreprit d’abattre un grand hêtre vigoureux.
Les oiseaux affolés s’envolèrent dans un vacarme assourdissant et les arbres impuissants regardèrent mourir leur frère en pleurant. Leurs larmes de résine se répandant sur la terre se mêlèrent à la sève de leur compagnon agonisant, c’est alors qu’un long cri effrayant surgit des tréfonds de la terre. Le sol se mit à trembler, à se fissurer puis à se fendre et un visage démesurément grand et recouvert d’écorce apparut. De sa bouche une tempête se leva qui emporta l’homme loin, très loin du peuple des arbres.
Depuis, à l’heure où le ciel s’empourpre et s’unit à la terre dans une symphonie de carmin et de vermeil, la sentinelle veille sur son royaume.